Selon un document officiel tunisien datant de 2006, que deux confrères* des ‘‘Inrocks’’ se sont procuré, l’actuel ministre français de la Défense, a séjourné dans un hôtel de luxe de Gammarth au frais de… l’Atce.
Gérard Longuet, qui était à l’époque président du groupe Ump (parti du président Nicolas Sarkozy) du Sénat, avait séjourné pendant deux jours à Tunis avec son ami le journaliste Jean-Marc Sylvestre, à l’époque célèbre chroniqueur des chaînes Lci et de Tf1.
Prêt à payer la note… cinq après
L’information a été obtenue grâce à des documents récupérés dans les archives de l’Agence tunisienne de communication externe (Atce), qui était chargée, entre autres missions douteuses, d’organiser des séjours à l’œil aux hommes politiques et aux journalistes étrangers. Grâce à ces documents, ‘‘Les Inrocks’’ ont pu reconstituer les conditions de l’escapade tunisienne de MM. Longuet et Sylvestre en 2006.
Les deux vacanciers étaient arrivés sur les côtes tunisiennes, accompagnés de leurs enfants respectifs, à bord d’un beau voilier de 17 mètres de long, le Silver Shadow. Ils ont amarré leur voilier dans le port de Sidi Bou Saïd et séjourné deux jours dans un palace cinq étoiles de Gammarth, The Residence.
«Selon le document de l’Atce, le programme pour recevoir ces hôtes de marque comprenait une soirée au festival de Carthage et un dîner avec le ministre des Affaires étrangères de Ben Ali, Abdelwaheb Abdallah», note ‘‘Les Inrocks’’.
Jusque là, rien d’anormal. Sauf que, selon le courrier officiel de l’Atce, daté du 27 juillet 2006, Oussama Romdhani, son directeur général, demande aux responsables de l’Office national du tourisme tunisien (Ontt) de «bien vouloir envisager la possibilité de prise en charge des frais du séjour à l’hôtel The Residence à Gammarth de monsieur et madame Longuet [qui ne participera finalement pas au voyage]. L’Atce prendra en charge, par contre, le séjour de M. Sylvestre, un ami de notre pays».
Dans un autre document, en arabe, le même M. Romdhani demande à la direction du port de plaisance de Sidi Bou Saïd de réserver une place pour le voilier de MM. Longuet et Sylvestre.
Interrogés par les Inrocks, les deux intéressés n’ont pas confirmé. Ils n’ont pas démenti non plus. Ils disent ne pas se souvenir précisément s’ils ont bien payé la note de l’hôtel. «Je serai bien incapable de vous le dire. Je ne me souviens pas d’avoir été invité, il est possible que cela se soit fait, je ne m’en suis pas personnellement occupé et ne me suis pas posé la question. Ce n’est pas moi qui leur [les responsables tunisiens, ndlr) ai demandé en tout cas. Mais si le gouvernement tunisien a le sentiment que je n’ai pas payé, je peux lui envoyer un chèque tout de suite, ça ne me pose pas de problème», a répondu M. Longuet au téléphone aux deux confrères.
Ces archives que le gouvernement ne veut pas ouvrir
Le problème, c’est qu’à l’Ontt, on est moins sujet à des trous de mémoire. Le fonctionnaire contacté par ‘‘Les Inrocks’’ est catégorique: «Le séjour de Gérard Longuet, qui s’est déroulé dans cet hôtel du 10 au 12 août 2006, a été pris en charge par l’Office de tourisme, qui a payé l’hébergement et la restauration. Monsieur Longuet a payé les extras, c’est-à-dire le téléphone et le bar.» Tout de même, l’hospitalité a ses limites…
Le chef du service marché français de l’Ontt, Amine Hajri, a confirmé, à l’agence Afp, les informations révélées, mercredi, par les ‘‘Inrockuptibles’’. «Nous avons payé son hébergement et le restaurant, il a payé les extras», a-t-il expliqué. «Je confirme qu’il a séjourné dans l’hôtel» et «c’est l’Office national du tourisme tunisien qui a réservé», a confirmé, de son côté, à l’Afp, Karima Ben Moussa, la responsable du service commercial de l’hôtel The Residence, après avoir consulté les fichiers de réservation.
«On était deux, l’autre a pensé que c’était moi qui avait payé, moi j’ai pensé que c’était lui. Si on m’envoie une facture, je la paye de bon cœur. Deux cents euros, je ne vais pas passer la journée là-dessus», a dit M. Longuet, réduisant l’affaire à un malentendu avec son ami français et excluant toute démission. «Je ne connais pas la situation de Michèle Alliot-Marie, je connais la mienne, quand j’ai une facture je la paye. Votre question n’a pas de sens», a-t-il déclaré, mardi, à des journalistes qui le priaient de dire s’il envisageait une démission comme son ex-collègue du gouvernement, rattrapée elle aussi par ses proximités avec le régime de Ben Ali.
Quoi qu’il en soit, cette histoire, vue de Tunis, est très édifiante. Elle démontre que les archives de l’Atce, que le gouvernement provisoire s’entête à ne pas vouloir ouvrir, ont donc enfin parlé. Espérons qu’ils continueront de le faire afin que les Tunisiens sachent comment l’argent public était dépensé, et quelles sont les personnes ou les institutions qui en profité pour se remplir les poches, à l’intérieur et à l’extérieur.
Les Tunisiens ont le droit de savoir. On ne peut continuer de les mener en bateau. Il n’y aura pas de réconciliation nationale, si les voleurs et les corrompus n’ont pas tous été démasqués. Au moins démasqués…
Imed Bahri
* Il s’agit de Nicolas Beau et Arnaud Muller, auteurs de ‘‘Tunis et Paris : les liaisons dangereuses’’, paru le 20 mai aux éditions Jean-Claude Gawsewitch à Paris.