Dans son discours prononcé à Monastir, dimanche 29 mai, Me Ahmed Néjib Chebbi n’a pas manqué de rendre un hommage appuyé à Habib Bourguiba, natif de cette ville du Sahel (littoral centre-est).
Le fondateur du Parti démocratique progressiste (Pdp), qui est passé du nationalisme arabe de type baathiste au marxisme léninisme, à la social-démocratie à l’européenne puis au libéralisme à l’américaine, revendique-t-il aujourd’hui le legs réformiste du premier président de la république tunisienne, qui fut, en son temps, anticommuniste viscéral et ennemi juré des nationalistes arabes, y compris de Chebbi lui-même dans une vie antérieure?
Chebbi héritier de Khereddine Pacha
On est tenté de répondre par l’affirmative, tant l’identification de M. Chebbi au personnage de Bourguiba nous semble forte. M. Chebbi semble aussi inscrire son action actuelle dans le sillage du mouvement réformiste tunisien, dont Bourguiba fut, avec Khereddine Pacha, l’une des figures saillantes.
Le président d’honneur du Pdp a ouvert son discours de Monastir par ces mots, qui ont dû flatter la fierté des Monastiriens: «Il me plaît d’être ici, parmi vous, à Monastir, pour rendre hommage au plus illustre de ses enfants. Je veux parler bien sûr du leader Habib Bourguiba, père de l’indépendance et bâtisseur de la Tunisie moderne». Et d’enchaîner, un brin lyrique: «Bourguiba, fils du Sahel et fils du peuple, a inventé une nouvelle manière de faire de la politique. Il a été le premier à opérer la jonction entre l’élite et la masse. Il a été le premier ‘‘à aller au peuple’’, à lui parler dans sa langue et à exprimer ses aspirations profondes. Il a réussi à mobiliser les masses urbaines et rurales et à les enrôler au service de la cause nationale. C’est en cela que sa contribution au mouvement national a été absolument décisive. Il a été un éveilleur de consciences. Avec lui, le peuple tunisien a pris conscience de sa force. Et de sa capacité à s’inventer un destin et à écrire son avenir.»
Les Bourguibistes apprécieront
L’hommage à Bourguiba ne s’est pas arrêté là. Le discours de Monastir lui était carrément consacré. Pouvait-il en être autrement? Dans les extraits ci-dessus, M. Chebbi justifie son opposition ancienne à Bourguiba et sa revendication actuelle du legs de cet illustre personnage, dont il semble vouloir incarner aujourd’hui la continuité. Les Bourguibistes purs et durs, qui cherchent aujourd’hui à se replacer sur la scène politique, apprécieront sans doute moyennement. Extraits…
«Bourguiba fut un combattant intrépide et un homme d’Etat visionnaire. L’homme fut un authentique patriote et un dirigeant d’une haute droiture morale. Il a, bien sûr, commis des erreurs de jugement et fait des choix parfois discutables. Son œuvre est loin d’être entièrement exempte de reproches. On le sait, Bourguiba n’a pas permis à la démocratie de s’épanouir. Mais son legs est précieux. Car Bourguiba ne s’est pas contenté de libérer la Tunisie. Il l’a transformée profondément. Il a bâti l’Etat moderne, réformé les structures sociales, émancipé la femme tunisienne, généralisé l’éducation et la santé. Pour lui, l’indépendance n’était qu’une étape, qu’un point de départ ou un préalable. Son combat n’était pas dirigé en priorité contre la France, qui n’était qu’un adversaire, pas un ennemi. Bourguiba s’est battu contre l’occupation et contre le régime du Protectorat. Mais il avait compris que c’est parce que nous étions colonisables que nous avions été colonisés. La colonisation était la sanction de nos insuffisances et de notre retard. Bourguiba, toute sa vie, et de toutes ses forces, a combattu l’ignorance, la misère et le fatalisme. Le développement était à ses yeux la condition de la dignité et de l’indépendance nationale. C’est en cela que le message de Bourguiba reste vivant et actuel. Avec Kheiredinne Pacha, Bourguiba constitue l’une des deux grandes figures saillantes du mouvement réformiste tunisien. Il a été le défenseur intransigeant de la personnalité arabo-musulmane de la Tunisie, et en même temps le promoteur d’une civilisation moderne fondée sur la raison. Le génie bourguibien était un génie de la synthèse et de la conciliation. Bourguiba a administré la preuve éclatante qu’il était possible de concilier l’Islam et la modernité, en encourageant la réouverture de la porte de l’Ijtihad. L’exemple de Bourguiba doit continuer à nous inspirer. Et à inspirer tous les patriotes de ce pays.
«Vous le savez certainement, je me suis vigoureusement opposé à Bourguiba. Sans doute moi et les gens de ma génération n’avions-nous pas saisi comme nous la saisissons aujourd’hui toute la portée et la dimension de son œuvre. Mais notre révolte était l’écho d’un malaise, celui de la société tunisienne des années 1960, dont la cohésion avait été éprouvée par une étatisation à outrance et des réformes économiques hasardeuses. Cette révolte était aussi le fruit d’une injustice: l’injustice du système autoritaire. Par bien des aspects, le système bâti par Bourguiba et par la génération de l’indépendance ressemblait et s’apparentait à un système d’exclusion. En réalité, le système bourguibien nous laissait le choix entre la soumission et la révolte radicale.
«Le Pdp se situe résolument dans la tradition du réformisme tunisien. Et dans la fidélité à son histoire. Pour nous, cette fidélité consiste à en faire fructifier l’héritage, dans ce qu’il a de meilleur, tout en poursuivant sur la voie de la réforme. L’élection de l’Assemblée constituante marque un rendez-vous historique. Elle doit nous permettre de parachever l’œuvre commencée par les pionniers du réformisme tunisien et de lui donner sa pleine signification.»
I. B.