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Avant la révolution, les Tunisiens du Canada se méfiaient les uns des autres. Aujourd’hui, ils se parlent, échangent leurs avis et revendiquent ensemble leurs droits, comme celui d’élire la prochaine Constituante.
Par Sarra Guerchani, à Montréal


Les Tunisiens du Canada, dont le nombre est estimé à plus de 15 000, sont préoccupés par le manque de communication entre eux et leurs représentants au pays d’accueil à l’approche d’échéances électorales déterminantes pour l’avenir de la Tunisie.
«Pourrons-nous voter au Canada pour élire l’assemblée constituante?», se demandent-ils souvent. La réponse est, bien sûr, «oui». En effet, «le décret-loi n°35 du 10 mai 2011, relatif à l’élection de l'Assemblée nationale constituante, indique que tous les Tunisiens âgés de 18 ans et plus aussi bien en Tunisie qu’à l'étranger, y compris au Canada], seront appelés à élire les membres de cette assemblée», indique-t-on à l’ambassade de Tunisie à Ottawa. Cette loi est malheureusement passée quasi inaperçue en Amérique du Nord. «Ah! Je ne savais pas qu’on pouvait voter, c’est une bonne nouvelle», dit Neila, résidente au canada depuis 2004. Elle est agréablement surprise d’apprendre qu’elle pourra participer au vote. Elle confirme qu’elle ira voter, car elle a déjà son parti politique favori.
La communauté tunisienne, qui a été soulagée de savoir qu’elle pourrait voter, n’en est pas moins satisfaite de la décision, annoncée le 31 mai, par le Conseil de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution selon laquelle, sur les 218 sièges de l’Assemblée nationale constituante, 19 seront réservés aux Tunisiens à l’étranger. Ceux de la France auront droit à 10 sièges, d’Italie 3, d’Allemagne 1, et du reste de l’Europe, des Etats-Unis et du Canada seulement 2, et le monde arabe 3.

Quand l’information ne circule pas…
Mourad, qui réside à Montréal depuis 12 ans, conçoit cependant difficilement la logique de cette répartition, qui octroie aux Etats-Unis, au Canada et à une partie de l’Europe un seul siège. «Je ne comprends pas que l’on puisse se faire représenter par des élus qu’on ne connait pas. Je ne me vois pas me faire représenter par un élu de l’Europe de l’Est, par exemple. Le Conseil de la Haute instance aurait dû faire des listes par continent, ça aurait été plus logique»
Les Tunisiens au Canada sont également dans l’attente d’un signe du consulat. «Même si aujourd’hui nous savons que nous pourrons voter, rien ne nous a été communiqué par les autorités tunisiennes sur le déroulement du scrutin. Nous sommes beaucoup de Tunisiens à n’avoir jamais voté. Nous avons tout apprendre», souligne  Amine, résident à Montréal depuis 6 ans.
Ce silence du consulat et de l’ambassade au sujet du scrutin s’expliquerait sans doute par le fait qu’ils ne disposent pas d’informations relatives aux détails de l’organisation de l’élection. Seule la Haute autorité indépendante chargée des élections déterminera la participation des Tunisiens à l'étranger aux élections, tel que l’indique le décret-loi n°27 du 18 avril 2011.
En attendant le jour J pour voter, «les électeurs recevront leur convocation par décret présidentiel, deux mois avant la date des élections», indique l’ambassade. Ainsi, si la date du 16 octobre est maintenue, le décret devrait être promulgué le 16 septembre 2011 au plus tard.

Déçus par leurs représentants au Canada
Ce qui révolte une grande partie de la communauté tunisienne au Canada c’est le manque de communication entre eux et les autorités. Elle n’a jamais réellement existé mais elle est encore moins présente depuis le départ du consul de Tunisie à Montréal, Imad Sassi, au début du mois de février dernier.
Après le 14 janvier beaucoup de Tunisiens ont pensé que les relations changerait avec leur consulat. «J’étais persuadé que nos relations avec nos représentants ici au Canada changeraient et qu’il y aurait plus d’échange et d’écoute de leur part. Bien au contraire, ils nous ont encore plus fermé la porte. A chaque fois que je les appelle et que je leur pose une question, ils ne savent pas répondre et se mettent dans tous leurs états», s’indigne Olfa, au Canada depuis 5 ans. D’autres comme Amina pensent pouvoir s’en passer: «Nous n’avons pas de représentant tunisien, nous avons un bureau pour refaire nos papiers d’identités, mais il est sûr que je ne me rendrais pas là-bas si j’avais un problème à régler. Ils ne servent à rien. Ils sont là pour justifier un salaire», dit-elle, vaguement désespérée de ce service au consulat qu’elle associe à un simple bureau.
Le vice-consul, qui remplace l’ancien consul, n’a jusqu’à aujourd’hui fait aucune apparition en public. Il ne répond jamais ou ne retourne jamais les appels. Les Tunisiens de la diaspora attendent de voir la nouvelle consule qui devrait arriver sous peu à Montréal pour prendre le poste d’Imed Sassi.
Quant à l’ambassadeur, Mouldi Saker, il est toujours en rendez-vous et ne trouve pas le temps de répondre ou rarement aux questions des journalistes. C’est d’ailleurs son assistante qui répond aux questions envoyés par des confrères par courriel. Cependant aucune information pertinente n’est donnée… rien que le public ignore vraiment.

Un collectif pour représenter la diaspora
Au canada comme ailleurs, nombreux sont les Tunisiens qui ne font plus confiance à l’administration de leur pays. Ils préfèrent se fier à des associations comme le Collectif pour la liberté et la démocratie en Tunisie. Depuis le mois de décembre dernier, cet organisme agit comme porte-parole des revendications des Tunisiens au Canada. Les manifestations de soutien aux luttes sociales et politiques tunisiennes, au cours des mois de décembre et janvier, c’était eux. Ils faisaient la Une des journaux canadiens pour analyser la situation politique et sociale au pays.
Ils ont pris plusieurs initiatives pour éclairer la diaspora sur le déroulement des élections. Des tables-rondes pour présenter les différents partis politiques ont été organisées durant le mois d’avril. La présidente Sonia Djelidi s’est déplacée à Paris pour un colloque qui a réuni, le 7 mai dernier, les tunisiens à l’étranger. Dans un courrier adressé à la Haute instance, le collectif a demandé à avoir des explications officielles quant au droit de vote de la communauté tunisienne au Canada.
Toutes ces activités ont fait naitre des liens au sein de la communauté tunisienne. Il y a encore quelques mois, avant la révolution, les Tunisiens se méfiaient des uns et des autres. Aujourd’hui, le tableau est différent: ils se parlent, échangent leurs avis, se découvrent et revendiquent leurs droits ensemble.