Le Parti démocrate progressiste (Pdp) dénonce les attaques contre ses adhérents qu’il attribue à des éléments d’Ennahdha. Le mouvement islamiste rejette l’accusation qu’il qualifie d’infondée. Qui manipule qui?


Lundi, au cours d’une conférence de presse, la secrétaire générale du Pdp, Maya Jribi, est montée au créneau pour dénoncer «vivement» l’agression subie par Wafa Joua, membre de la section du parti à Sfax, par une personne habitant la région et qui aurait déclaré, selon elle, «son appartenance au mouvement Ennahdha».

Qui a agressé Mme Wafa Jaoua?
«Cette information est infondée», réplique Zied Daoulatli, membre du bureau exécutif d’Ennahdha, interrogé par Kapitalis. «Nous condamnons fermement ce genre d’agression quel qu’en soit l’auteur et nous soutenons le droit de Mme Jaoua à poursuivre son agresseur en justice», explique-t-il. «Cependant, les investigations que nous avons menées pour savoir si l’agresseur appartient ou non à Ennahdha nous ont confirmé, sans l’ombre d’un doute, que cette personne n’a jamais appartenu à notre mouvement et il est totalement inconnu de notre section de Sfax».
Mme Jribi, au cours de la même conférence de presse, ne s’est pas arrêtée au cas de Mme Jaoua. Elle a évoqué des «attaques commises par d’autres personnes adhérant au même mouvement Ennahdha contre des militants du Pdp». Elle a dénoncé ces pratiques qui sont, selon elle, «extrêmement dangereuses et qui ouvrent la voie devant la violence politique et s’opposent au droit à la différence, au respect de l’opinion contraire et à la modération de la société tunisienne».
Poursuivant sur sa lancée, la secrétaire générale du Pdp a fait assumer au mouvement Ennahdha et ses partisans «la responsabilité de plonger le pays dans la spirale de la violence et des conflits politiques et idéologiques menaçant les acquis de la Tunisie». Elle leur a demandé de respecter les principes de la saine émulation entre les adversaires politiques et à s’engager dans le processus de réalisation de la transition démocratique. «La Tunisie ne peut poursuivre son chemin vers la démocratie et l’enracinement de la liberté de choisir que si les acteurs politiques se mettent d’accord sur des principes bien définis qui organisent la vie politique», a-t-elle plaidé.

Interrogé sur la portée des déclarations de Mme Jribi, Zied Daoulatli a répondu: «Nos militants ont été victimes, à plusieurs reprises, d’agressions verbales et physiques dans certaines régions, comme récemment à Monastir, mais nous nous sommes gardés d’exagérer les faits, eu égard à la situation délicate qui prévaut dans le pays». Le membre du bureau exécutif d’Ennahdha a ajouté: «Nous sommes surpris par l’ampleur de la réaction d’un si grand parti [comme le Pdp, ndlr]. Et encore une fois, nous réitérons notre soutien à tout citoyen qui subit une agression et appuyons ses démarches auprès des autorités judiciaires».

Une histoire de tente plantée au mauvais endroit?
Dans un communiqué publié, lundi soir, la section d’Ennahdha de Sfax apporte une version totalement différente de ce qui est arrivé à la militante du Pdp et de l’identité de son «agresseur». La voici: Mme Jaoua et d’autres militants du Pdp ont monté une tente dans un quartier populaire pour tenir une réunion. Problème: la tente a été plantée devant une maison dont le propriétaire se sert aussi comme un lieu de travail. Ce dernier s’est plaint de la gêne causée par la réunion et a demandé aux militants du Pdp d’aller planter leur tente ailleurs, mais grande fut sa surprise lorsque ces derniers l’ont accusé d’être un militant du mouvement Ennahdha, «accusation que lui a valu son apparence pieuse», explique le communiqué d’Ennahdha. Qui ajoute: «C’est un comportement peu  responsable de la part du Pdp qui s’est habitué à accuser toute personne connue pour sa piété d’être hostile au Pdp et d’appartenance à Ennahdha».
Mais quid de l’«agression» dont a été victime Mme Jaoua? Le communiqué d’Ennahdha explique que la militante du Pdp a cherché à prendre le citoyen importuné en photo. «Face à son insistance, et devant tous les habitants du quartier, ce dernier a essayé de l’en empêcher en lui arrachant l’appareil photo, avant de le lui rendre après l’intervention d’un autre membre du Pdp. A la suite de cet incident, la militante du Pdp et ses camarades ont pu poursuivre leur réunion jusqu’à 14 heures, sans être importunés par personne, contrairement aux allégations du Pdp», lit-on encore dans le communiqué.  
Ennahdha ajoute un élément assez surprenant que les responsables du Pdp seraient bien inspirés de vérifier: «Si les militants du Pdp ont été priés de quitter les lieux, c’est à la demande de tous les habitants du quartier, qui n’ont rien à voir avec le mouvement Ennahdha. Ils ont simplement ressenti comme une provocation la présence, parmi les militants du Pdp, d’éléments ayant appartenu au Rcd, l’ancien parti au pouvoir, dont un militant très actif de la cellule de l’impasse Ben Saïd, un certain M. S., qui fait maintenant de la propagande pour le Pdp. C’est la raison pour laquelle les habitants du quartier ont exigé le départ du groupe», explique le communiqué d’Ennahdha.

Ces marionnettistes tapis dans l’ombre?
Quoi qu’il en soit, on peut considérer les versions des faits présentées par les deux parties comme étant authentiques. Nous n’avons d’ailleurs aucune raison pour ne pas les croire sur parole. Auquel cas, il y aurait une tierce partie qui chercherait à enfoncer un coin entre le Pdp et Ennahdha et, à travers eux, à empoisonner l’atmosphère politique dans le pays. Quelle est cette tierce partie? Pour qui roule-t-elle? Et pour quels desseins secrets?
Aussi ne s’agit pas ici de donner foi à la version du Pdp ou à celle d’Ennahdha – les deux sont sans doute authentiques –, mais de diligenter une enquête sérieuse sur l’affaire. Et c’est aux autorités d’interroger ledit «agresseur» et les autres témoins de l’incident, notamment les habitants du quartier, pour connaître la vérité de ce qui s’est passé, le ou les auteurs de l’agression, leurs motivations et, éventuellement, leurs… commanditaires.
Dans tous les cas, il n’y a pas lieu d’alimenter une polémique – le pays s’en passerait bien –, mais de faire la vérité et de démasquer les marionnettistes tapis dans l’ombre.

Ridha Kéfi