On le disait en perte de popularité, manipulé par un gouvernement de l’ombre, usant de vieilles ficelles bourguibiennes éculées, et le voilà qui ressurgit, et remet les pendules de la transition à l’heure. Par Ridha Kéfi
Lui, c’est le Premier ministre du Gouvernement de transition, Béji Caïd Essebsi. Au cours d’une réunion, mercredi matin, à Tunis, il a renvoyé dos-à-dos les partisans du maintien de la date des élections au 24 juillet et ceux qui proposent leur report au 16 octobre. Il a réussi, en même temps, à mettre tout le monde d’accord.
Le maître du temps
Dans un contexte de discussion byzantine, sans queue ni tête, où les égos démesurés et les agendas secrets tenaient lieu de vision politique pour la Tunisie de demain, M. Caïd Essebsi a tranché de belle manière. «Ce ne sera ni le 24 juillet ni le 16 octobre, mais le 23 octobre», dira-t-il, mettant son auditoire dans l’hors-jeu.
Ainsi donc, d’une pierre, le vieux briscard de la politique a fait… quatre coups. Un: il n’a donné raison à aucune des deux parties pour ne pas avoir à mécontenter l’autre. Deux: il a obtenu leur adhésion et les a rassurées. Trois: il a donne à l’Instance supérieure indépendante pour les élections, au gouvernement provisoire, aux partis et aux électeurs une semaine supplémentaire pour mettre en place les meilleures conditions pour la tenue d’élections libres, pluralistes et transparentes. Et quatre: il a rétabli l’autorité d’un gouvernement, dont beaucoup soulignent le déficit de légitimité, mais qui est, finalement, le seul à en avoir vraiment dans cette Tunisie post-Ben Ali, du moins une légitimité fonctionnelle. N’est-ce pas lui le maître du temps, celui qui gouverne et qui donne le tempo?
Exit, donc, les pseudos leaders tombés de la dernière pluie, les partis qui ont poussé comme des champignons, les protecteurs de la révolution autoproclamés, les analystes pérorant sur les plateaux des télévisions! Il y a désormais un pilote dans l’avion. Et le pilote annonce de grosses turbulences dans le ciel de la révolution. Après le décollage réussi, au lendemain du départ de l’ancien président et de la chute de son régime, il va falloir maintenant réussir l’atterrissage. Et là c’est une autre histoire… Car à lui seul, le pilote ne pourra rien garantir. Tout le monde doit y mettre du sien. Et c’est là où il va falloir faire moins de politique et plus d’économie, moins de tactique et plus de stratégie, moins de calculs individuels (ou partisans) et plus de vision collective.
Trop de politique tue la politique
Les appétits de pouvoir, aiguisés par le vide politique créé par la dissolution de l’ancien parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd), auraient sans doute plus de sens si la machine économique reprenait, si la menace de banqueroute s’éloignait et si le gouvernement pouvait compter sur l’appui de toutes les parties (et, surtout, tous les partis) pour aller au secours des régions intérieures, donner du travail aux chômeurs, améliorer le quotidien des plus démunis…
Trop de politique tue la politique, ou réduit celle-ci à une foire d’empoigne ou à une querelle de clochers, où tout le monde donne de la voix sans que personne n’entende rien qui vaille, ni proposition constructive, ni idée mobilisatrice, ni projet d’avenir, dans une cacophonie aussi futile que porteuse de grosses menaces. Et c’est cette Tunisie prise dans une sorte frénésie révolutionnaire sans fin que le Premier ministre a voulu rappeler à l’ordre, à la raison.
Il ne s’agit pas de se chamailler sur la date de l’élection de l’Assemblée constituante. Cette date n’est pas sacrée, a-t-il dit. L’essentiel c’est d’organiser des élections libres et transparentes sur la base du consensus entre toutes les parties politiques: gouvernement, partis et composantes de la société civile. Pour cela, il s’agit de réunir les conditions de succès des opérations de vote et d’instaurer un climat de sécurité et de stabilité dans le pays. Et, d’abord, en mettant fin aux mouvements de grèves et de protestations, qui ont des retombées négatives sur l’économie nationale.
Les événements qui ont suivi la révolution, a rappelé M. Caïd Essebsi, ont sérieusement affecté l’économie nationale, en particulier le tourisme et l’investissement extérieur, et pesé lourd sur le budget de l’Etat qui continue, malgré sa marge étroite, de subventionner les produits de consommation de base et les carburants. Le gouvernement doit en même temps, a-t-il fait remarquer, relever d’autres défis majeurs comme l’augmentation des salaires, le dédommagement de 281 entreprises économiques touchées par la crise et l’embauche de 700.000 chômeurs. «La réalisation de ces objectifs ne peut pas se faire du jour au lendemain. Le gouvernement n’a pas de baguette magique. Il faut du temps, de la patience et la conjugaison des efforts de tous», a-t-il affirmé.
En d’autres termes : la Tunisie a perdu beaucoup de temps. Elle doit aujourd’hui en rattraper. Et d’abord en se remettant au travail. Aujourd’hui, tant qu’il est encore possible d’éviter la banqueroute. Demain, il sera peut-être déjà trop tard.