Dans les années 1970, le taux de croissance en Tunisie a atteint...17%, mais le gouvernement Hédi Nouira publiait des chiffres inférieurs (12%) parce que personne n’allait croire aux vrais chiffres.


Sous Zine El Abidine Ben Ali, c’est totalement l’inverse. Les chiffres et les statistiques publiés par le gouvernement sur tous les secteurs de la vie sont ou totalement erronés ou constamment revus la hausse. C’est ce qui a mené le pays où il est aujourd’hui.
Cette comparaison a été faite par Mansour Moalla, l’ancien ministre de Bourguiba et le très célèbre expert économique et homme politique, qui était l’invité du déjeuner-débat du mardi de l’Association des tunisiens des grandes écoles (Atuge).
De l’histoire à l’économie, son fief, en passant par le système de scrutin et l’éducation, M. Moalla a donné un aperçu original et plein d’humeur sur la Tunisie d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Sans jamais citer Zaba par son nom tout au long de trois heures de débat et de bouffe, se contentant de qualifier son règne de «dictature» et de «non-Etat», M. Mansour dépeint l’état des lieux dans son style bien particulier de fin connaisseur des arcanes de la politique et de l’économie du pays et dans le monde.

Quelles priorités pour la Tunisie?
Après l’indépendance, Bourguiba était, dès le début, en faveur d’un Etat démocratique. Que s’est-il donc passé pour qu’il vire vers la quasi-dictature?
M. Moalla considère que «la cassure (de Bourguiba) avec Salah Ben Youssef et tout l’épisode qui l’a suivi et le coup d’Etat raté de 1962 ont fait naitre chez  «le Combattant Suprême» la conviction que le peuple n’était pas mûre et qu’il avait besoin d’être dirigé». Un pur passage à «un totalitarisme » à la bourguibienne qui avait «une trop grande estime pour son ego pour vraiment croire à la démocratie.
Moalla reconnait que les objectifs du pays sont aujourd’hui, à court et moyen terme d’une part, et à moyen et long termes d’autre part. Lesquels donc privilégier pour réussir la transition?
Pour lui, les objectifs du pays à court et moyen terme sont des priorités économiques. Quant aux objectifs à moyen et long terme, ils nécessitent des solutions d’ordre politique.

Relance des investissements et développement régional
Mansour Moalla pense que sous Ben Ali comme sous Bourguiba, l’évolution économique de la Tunisie aurait pu être meilleure si la gestion politique était meilleure.
Malgré les crises de toutes sortes qu’a connues le règne de Bourguiba, dont la mésaventure du coopératisme dans les années 1960 et la débâcle de l’union éphémère avec la Libye dans les années 1970, et en dépit de l’improvisation et de la mauvaise gouvernance qui ont marqué celui de Ben Ali, l’économie a quand-même «pu tenir bon». Donc, si bonne gouvernance était…?
Après l’indépendance, le système était centralisé. La décentralisation a souffert d’un obstacle énorme: la résistance de l’administration (centrale, dont les ministres, réticents de voir une partie de leurs pouvoirs déléguées aux gouverneurs et aux maires) et la réticence des bailleurs de fonds (étrangers, et notamment arabes).
L’exode rural qui en avait résulté a engendré un passage du développement rural à un développement régional, mais sans aucune efficacité.
Aujourd’hui, la Tunisie a besoin d’un vrai développement régional, avec des administrations régionales efficaces et performantes. Il est également urgent aujourd’hui de relancer l’investissement avec ce que cela nécessite comme efforts pour trouver les projets adéquats. «Une ardente obligation», estime Moalla qui implique tout le monde, nos ambassadeurs dans le monde en premier lieu.
Seule l’amélioration  du taux de croissance de l’économe pourra booster le marché de l’emploi et soutenir la balance des paiements. «Et ceci n’est pas impossible», dit-il, optimiste.
Le régime déchu a fait disparaitre pas moins de 7 banques de développement. «Une anomalie», juge l’ancien banquier.
Quant à notre dette extérieure, moins de 5% du PIB aujourd’hui, «n’est pas en elle-même un problème. C’est la fragilité de notre économie qui est alarmante».  
Autrement dit, M. Moalla pense que les indices de la dette tunisienne sont dans les normes, puisqu’ils ne dépassent pas les 50% du Pib. Evoquant les 25 milliards de dollars promis par le G8, il appelle cependant à faire très attention à la nature des dons et à leurs utilisations. Il dit qu’on n’a pas encore eu de précisions pour pouvoir juger tout ça. «Le vrai danger? Que ces 25 milliards sont l’équivalent de notre dette extérieure!».

Les partis doivent s’ouvrir sur les jeunes
Pour Moalla, la liberté de l’expression et le sens du civisme «sont les plus grands acquis de la révolution».
Revenant sur les événements qui ont suivi le 14 janvier, il dit que les perturbations étaient «aussi bien normales que surmontables».
Le problème est «qu’on a mal géré les deux premiers mois de la révolution».
«Cette période a été marquée par beaucoup de cafouillage parce que le premier gouvernement n’a pas été crédible et était incapable de prendre des mesures courageuses. Les troubles n’étaient donc pas dues à la population ».
Le troisième gouvernement a fait mieux «parce qu’il avait à sa tête un homme politique (Caïd Essebsi)». Mais son défaut est «qu’il n’implique pas tout le monde». Les forces vives et les compétences du pays deviennent ainsi «passives ou hostiles».
Par ailleurs, «on attend toujours le redressement de l’autorité». Dans ce cadre,  le gouvernement est supposé communiquer avec le peuple, visiter les régions. Et il n’est pas encore tard de le faire».
L’ouverture des partis politiques, notamment celui/ceux au pouvoir, au dialogue ainsi qu’une société civile dynamique sont les seuls garants d’une jeunesse cultivée, équilibrée et responsable. Ça a fait toute la différence entre les jeunes d’aujourd’hui et ceux des premières années de l’indépendance, dont MM Moalla et Caïd Essebsi et feu Nouira, qui ont assumé de grandes responsabilités politiques et économiques à un très jeune âge.

Pour un scrutin uninominal à deux tours
L’une des limites du suffrage universel est qu’une partie du peuple (celle qui ne vote pas pour le gagnant) devient un adversaire. Ceci produit un président mal informé et un parlement inutile. C’est d’ailleurs le cas aux États-Unis d’Amérique.
M. Moalla pense que le régime parlementaire est «le seul régime rationnel» même s’il dépend largement du système du scrutin.
Il faut discipliner la vie politique (comme en Grande Bretagne où la stabilité parlementaire et l’efficacité gouvernementale sont privilégiées par rapport au système de vote. Le mode de scrutin proportionnel favorise la prolifération des partis politiques mais pas la stabilité gouvernementale.
M. Moalla est adepte du scrutin uninominal à deux tours. Pour deux raisons: 1- il supprime l’anonymat des listes et 2- il rapproche l’élu de l’électeur et améliore la qualité des candidats.

Mourad Teyeb