Invité mardi par l’Utica, Yadh Ben Achour a passé en revue les étapes de sa vie universitaire et politique pendant, durant et après Ben Ali, presque dans le détail. Il a appelé ensuite à la «réconciliation nationale». Par
Zohra Abid


Une musique très agréable aux oreilles des membres du Bureau exécutif de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), dont certains étaient des piliers de l’ancien régime. Mais c’est là une autre histoire.

Des paroles de sagesse
Et parce qu’il y a deux tendances, aujourd’hui, au sein de l’Utica, l’une pour la continuité – on prend les mêmes et on recommence – et l’autre pour la rupture – du passé on fait table rase –, l’intervention de Ben Achour était très attendue. Ecouter les paroles d’un professeur éminent, et qui a son mot à dire sur les affaires du pays (il est le président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique) est une occasion pour mieux savoir où va la Tunisie. Et, surtout, comment elle y va.
Comme pour plaire à ses hôtes, et surtout les rassurer, l’invité d’honneur de la centrale patronale n’a pas cessé d’appeler au «pardon». Un mot qui, on l’a compris, pèse très lourd dans l’économie nationale, aujourd’hui en mauvaise posture. On se serre la main, machinalement, les uns les autres. On fait comme si… et on passe l’éponge. Question de remettre le compteur de l’économie en marche. Qui a parlé de chantage à l’investissement?
Ce n’est pas là, on l’a compris, le souci de M. Ben Achour, dont le speech, très porté sur son parcours personnel, nous a rappelé, par le fond comme par la forme (le ton, les intonations, le rythme, le style narratif…), ceux d’un certain Habib Bourguiba que tout le monde, consciemment ou inconsciemment, se met aujourd’hui à imiter. Mais c’est là une autre histoire…

Un parcours d’indignation et de révolte
Près d’une heure, l’homme de 66 ans a parlé de lui-même, de son parcours à la fac, de son opposition à Ben Ali, lorsqu’il a démissionné du Conseil constitutionnel pour protester contre une loi ciblant la Ligue tunisienne des droits de l’homme (Ltdh), en 1992, ou encore lorsqu’il a soutenu, en novembre 2005, les grévistes de la faim en marge du Sommet mondial de la société de l’information (Smsi) ou, enfin, son soutien à la candidature de Mohamed Ali Halouani à la présidence de la république en 2004… Entre autres épisodes d’une vie dont le conférencier a voulu souligner la portée militante.
Pourquoi Ben Achour a-t-il senti le besoin de raconter ainsi sa vie aux patrons venus l’écouter? C’est ce parcours-là, souligne-t-il, qui lui a valu d’être, aujourd’hui, le président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. Et c’est en raison de son intégrité morale et intellectuelle que Mohamed Ghannouchi, ancien Premier ministre (sous Ben Ali ensuite au premier gouvernement de transition), lui a proposé de présider cette instance. Mais nul ne doute de tout cela, M. Ben Achour, rassurez-vous!
«J’ai fait appel à des experts. Ils sont tous des universitaires. Ils sont venus de toutes les facultés de droit du pays pour faire une opération de nettoyage des textes de loi. Nous étions une vingtaine», a poursuivi M. Ben Achour, pour raconter les nombreux rebondissements qu’a connus son instance jusqu’à ce jour, notamment l’intégration des membres du Comité de protection de la révolution, ainsi autoproclamé, et qui n’a, aux yeux de Ben Achour, aucune véritable légitimité, la révolution ayant été faite en dehors de tout encadrement politique partisan.

Différents, mais la main dans la main
«La Haute Instance compte aujourd’hui 155 membres et ressemble plutôt à un parlement qu’à une commission», déplore-t-il. Et de souligner la difficulté qu’il a eue à mettre d’accord des gens venus d’horizons divers et qui se chamaillent pour chaque point ou chaque virgule. N’empêche que malgré ces difficultés dans le débat, la Haute instance a pu quand même aboutir à un accord sur l’élection de l’Assemblée nationale constituante «en seulement trois semaines».
«Aujourd’hui, notre seul objectif est la réconciliation nationale. Nous devons suivre l’exemple de l’Afrique du Sud. Seul le pardon pourrait nous conduire à la réussite. Mettons la main dans la main. Les Tunisiens doivent faire la paix entre eux… Nous n’avons pas le choix.»
Dans ce contexte, M. Ben Achour  a appelé à l’organisation d’un congrès conjoint entre l’Utica et l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt, syndicat ouvrier). Une telle réunion permettrait un échange des points de vues entre les hommes d’affaires et la classe ouvrière qui aiderait à relever les défis auxquels fait face l’entreprise tunisienne. Il a mis aussi l’accent sur la nécessité d’entamer une réflexion sur la révision du système fiscal tunisien et de mettre en place une politique fiscale plus juste et plus incitative pour les employés et l’entreprise.
Il faut que toutes les parties œuvrent «pour que l’économie, aujourd’hui essoufflée, reprenne au plus vite».
Et de conclure sur une note personnelle en disant qu’il n’a aucune ambition politique. «C’est l’intérêt du pays qui doit l’emporter», lance-t-il à ces chers hommes d’affaires! Personne n’en doute…

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Tunisie. La «réconciliation nationale» selon Yadh Ben Achour

Invité mardi par l’Utica, Yadh Ben Achour a passé en revue les étapes de sa vie universitaire et politique pendant, durant et après Ben Ali, presque dans le détail. Il a appelé ensuite à la «réconciliation nationale».

Une musique très agréable aux oreilles des membres du Bureau exécutif de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), dont certains étaient des piliers de l’ancien régime. Mais c’est là une autre histoire.

Des paroles de sages

Et parce qu’il y a deux tendances, aujourd’hui, au sein de l’Utica, l’une pour la continuité – on prend les mêmes et on recommence – et l’autre pour la rupture – du passé on fait table rase –, l’intervention de Ben Achour était très attendue. Ecouter les paroles d’un professeur éminent, et qui a son mot à dire sur les affaires du pays (il est le président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique) est une occasion pour mieux savoir où va la Tunisie. Et, surtout, comment elle y va.

Comme pour plaire à ses hôtes, et surtout les rassurer, l’invité d’honneur de la centrale patronale n’a pas cessé d’appeler au «pardon». Un mot qui, on l’a compris, pèse très lourd dans l’économie nationale, aujourd’hui en mauvaise posture. On se serre la main, machinalement, les uns les autres. On fait comme si… et on passe l’éponge. Question de remettre le compteur de l’économie en marche. Qui a parlé de chantage à l’investissement?

Ce n’est pas là, on l’a compris, le souci de M. Ben Achour, dont le speech, très porté sur son parcours personnel, nous a rappelé, par le fond comme par la forme (le ton, les intonations, le rythme, le style narratif…), ceux d’un certain Habib Bourguiba que tout le monde, consciemment ou inconsciemment, se met aujourd’hui à imiter. Mais c’est là une autre histoire…

Un parcours d’indignation et de révolte

Près d’une heure, l’homme de 66 ans a parlé de lui-même, de son parcours à la fac, de son opposition à Ben Ali, lorsqu’il a démissionné du Conseil constitutionnel pour protester contre une loi ciblant la Ligue tunisienne des droits de l’homme (Ltdh), en 1992, ou encore lorsqu’il a soutenu, en novembre 2005, les grévistes de la faim en marge du Sommet mondial de la société de l’information (Smsi) ou, enfin, son soutien à la candidature de Mohamed Ali Halouani à la présidence de la république en 2004… Entre autres épisodes d’une vie dont le conférencier a voulu souligner la portée militante.

Pourquoi Ben Achour a-t-il senti le besoin de raconter ainsi sa vie aux patrons venus l’écouter? C’est ce parcours-là, souligne-t-il, qui lui a valu d’être, aujourd’hui, le président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. Et c’est en raison de son intégrité morale et intellectuelle que Mohamed Ghannouchi, ancien Premier ministre (sous Ben Ali ensuite au premier gouvernement de transition), lui a proposé de présider cette instance. Mais nul ne doute de tout cela, M. Ben Achour, rassurez-vous!

«J’ai fait appel à des experts. Ils sont tous des universitaires. Ils sont venus de toutes les facultés de droit du pays pour faire une opération de nettoyage des textes de loi. Nous étions une vingtaine», a poursuivi M. Ben Achour, pour raconter les nombreux rebondissements qu’a connus son instance jusqu’à ce jour, notamment l’intégration des membres du Comité de protection de la révolution, ainsi autoproclamé, et qui n’a, aux yeux de Ben Achour, aucune véritable légitimité, la révolution ayant été faite en dehors de tout encadrement politique partisan.

Différents, mais la main dans la main

«La Haute Instance compte aujourd’hui 155 membres et ressemble plutôt à un parlement qu’à une commission», déplore-t-il. Et de souligner la difficulté qu’il a eue à mettre d’accord des gens venus d’horizons divers et qui se chamaillent pour chaque point ou chaque virgule. N’empêche que malgré ces difficultés dans le débat, la Haute instance a pu quand même aboutir à un accord sur l’élection de l’Assemblée nationale constituante «en seulement trois semaines».

«Aujourd’hui, notre seul objectif est la réconciliation nationale. Nous devons suivre l’exemple de l’Afrique du Sud. Seul le pardon pourrait nous conduire à la réussite. Mettons la main dans la main. Les Tunisiens doivent faire la paix entre eux… Nous n’avons pas le choix.»

Dans ce contexte, M. Ben Achour  a appelé à l’organisation d’un congrès conjoint entre l’Utica et l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt, syndicat ouvrier). Une telle réunion permettrait un échange des points de vues entre les hommes d’affaires et la classe ouvrière qui aiderait à relever les défis auxquels fait face l’entreprise tunisienne. Il a mis aussi l’accent sur la nécessité d’entamer une réflexion sur la révision du système fiscal tunisien et de mettre en place une politique fiscale plus juste et plus incitative pour les employés et l’entreprise.

Il faut que toutes les parties œuvrent «pour que l’économie, aujourd’hui essoufflée, reprenne au plus vite».

Et de conclure sur une note personnelle en disant qu’il n’a aucune ambition politique. «C’est l’intérêt du pays qui doit l’emporter», lance-t-il à ces chers hommes d’affaires! Personne n’en doute…

Zohra Abid