Longtemps impliqué dans des opérations illégales menées par l’ancienne clique au pouvoir, la douane tunisienne a du mal à se remettre de ses errements passés. Crise de confiance aggravée par la difficulté de rompre avec le passé…
L’absence d’enquêtes sérieuses sur les malversations du passé et l’impunité dont jouissent certains piliers du système de corruption mis en place par l’ancien régime suscitent un malaise au sein de la profession, dont la majorité voudrait rompre définitivement avec le passé, redorer le blason des douaniers et les mettre à l’abri des tentations.
Une grève illimitée pour quoi faire?
C’est dans cette atmosphère pesante que le Syndicat des agents de la douane (Sad) a décidé de se mettre en grève pour une durée illimitée, à partir d’aujourd’hui, lundi 13 juin, pour réclamer la démission du directeur général des douanes Tahar Htira.
Les négociations avec le ministère des Finances, ministère de tutelle, n’ayant finalement pas abouti, «la plupart des agents de la douane tunisienne ont décidé d’une grève générale dans toutes les régions du pays demandant le départ officiel de Tahar Htira», a ainsi déclaré Mohamed Bizani, le président du Sad, à l’agence officielle Tap. «La plupart», cela veut dire qu’une partie des fonctionnaires sera en grève. Cela veut dire aussi qu’une autre partie assurera l’essentiel des activités.
Mercredi, lors d’une rencontre avec la presse, le premier ministre du gouvernement de transition Béji Caïd Essebsi avait pourtant jugé «impérieusement nécessaire de rompre définitivement avec toutes les formes de grèves et de protestations en prévision de l’organisation d’élections démocratiques, libres et transparentes, le 23 octobre prochain», peu après avoir annoncé ce report du scrutin initialement prévu le 24 juillet.
Dans un communiqué, rendu public dimanche, le ministère des Finances a dénoncé l’appel à la grève, qualifiée d’«illégale» et «de nature à porter un grand préjudice à l'économie du pays».
«L’action de l'instance constitutive provisoire n’étant pas encore régie par les textes réglementaires en vigueur, l’appel à la grève n’a de ce fait aucun appui juridique puisque la législation actuelle et le projet du décret-loi soumis, récemment, au conseil des ministres n’autorisent pas la grève en tant que moyen de protestation», précise encore le communiqué.
Le ministère des Finances appelle tous les agents de la douane, «rempart de l’économie nationale», à ne pas répondre à cet appel et à faire preuve d’esprit de responsabilité en cette conjoncture délicate que connaît le pays.
Le système de Ben Ali… sans Ben Ali?
Si elle a lieu, cette nouvelle grève, s’ajouterait à celles qui touchent de nombreuses institutions et entreprises publiques, comme Tunisie Telecom. Elle intervient dans un contexte de malaise généralisé, où se multiplient les accusations contre le gouvernement provisoire, soupçonné de vouloir reconduire l’ancien système, en fermant les dossiers de la corruption, en assurant l’impunité aux hauts cadres qui ont trempé dans les malversations de l’ex-clan au pouvoir et en nommant certains d’entre eux à des postes importants où ils risquent d’effacer les traces des magouilles anciennes au lieu d’assurer le nettoyage nécessaire du système que les Tunisiens appellent de tous leurs vœux.
Aux yeux des contestataires, ces nominations, très discutables et d’ailleurs fort contestées, ne traduisent pas une véritable volonté du gouvernement de rompre avec l’ancien système. Au contraire, elles trahissent, selon eux, une manœuvre pour reconduire le système de Ben Ali… sans Ben Ali, le slogan de «réconciliation nationale» servant de légitimation de l’impunité.
Que reproche-t-on à Tahar Htira?
M. Htira, a été nommé le 26 janvier, par le premier gouvernement de transition présidé par l’ex-premier ministre de Ben Ali, Mohamed Ghannouchi. Cette nomination a eu lieu quelques jours après la fuite, le 14 janvier, de l’ex-président en Arabie Saoudite au terme d’un mois de soulèvement populaire.
M. Htira est accusé par Jalel Haykel, membre du bureau fondateur du syndicat, d’actes de «corruption» qui auraient coûté à l’économie «des pertes chiffrées en millions de dinars.» Le responsable syndical a appelé, à cet effet, à hâter la création d’une commission indépendante pour enquêter sur ces faits et lutter contre la corruption, au sein du corps de la douane. «Cette commission devra être présidée par un magistrat indépendant et comporter des experts en fiscalité, des comptables, des juristes et des représentants de la société civile», a-t-il suggéré.
Zouhour Kararsi, chargée des relations extérieures au sein du même syndicat a renchéri: «M. Htira s’est entouré par un lobby de corrompus», estimant que «les autorités de tutelle ne prêtent oreille qu’à ce lobby dont l’intérêt est de maintenir le directeur général actuel en place».
La responsable syndicale a appelé, par ailleurs, à assainir la douane tunisienne des «symboles de la corruption occupant encore des postes-clé, qui servent les intérêts de certaines parties et en couvrent d’autres, en tentant d’effacer les preuves de corruption».
Mounir Nacib, chargé de l’information au sein du syndicat a critiqué, pour sa part, «le mutisme des médias locaux concernant des dossiers sensibles au sein de la douane tunisienne».
L’assemblée constituante du syndicat des agents de la douane s’est tenue fin avril. Cette profession n’avait pas droit à une représentation syndicale sous Ben Ali. Mais le gouvernement provisoire s’est mis d’accord mardi 6 juin sur le projet d’un décret-loi qui rétablit ce droit mais il n’est toujours pas paru au journal officiel. Environ 3.000 agents de la douane, sur 6.500 au total, se sont inscrits au syndicat, selon le trésorier de l’organisation, cité par la Tap.
Imed Bahri