Les Européens tiennent à soutenir la transition démocratique en Tunisie et dans les pays arabes. Mais ils craignent les réactions de peuples qui digèreront désormais très mal l’ingérence étrangère et l’argent «suspect».
Mourad Teyeb, à Londres


Un colloque sur «Les médias et le pouvoir» tenu le week-end dernier à Londres, en Grande Bretagne, a dévoilé combien les pays de l’Union européenne (UE) hésitent sur les stratégies et les outils du financement de la transition dans le secteur des médias et de la presse. Comme dans d’autres, apparemment.
Soucieux que leurs «partenaires» arabes réalisent leurs objectifs de l’après-révolution, entre autres des médias libres, des journalistes conscients et bien formés et un minimum de liberté de l’expression, les «donateurs» européens ne savent toujours pas à quel saint se vouer.
L’UE, avec le concours de plusieurs Ong, associations, fondations, universités et centres de recherches…, sont en train de mettre en place des programmes et des actions pour la formation des journalistes, l’encadrement des entreprises de presse et le suivi des réformes dans le secteur des médias. Des fonds sont et seront alloués afin d’assurer ce que l’Europe appelle «l’accompagnement» de la transition démocratique en Tunisie, comme en Egypte.

«More for more»
David Quin, consultant chez Thomson Foundation, le reconnaît.  «L’UE n’a pas aujourd’hui une réponse claire à ce qui se passe dans la région (arabe)», dit-il ouvertement. «Un grand débat existe sur ce que les rapports entre l’UE d’une part et la Tunisie et l’Egypte d’autre part doivent être. Les Européens sont divisés entre des pays qui veulent rester concentrés sur l’Europe de l’Est et d’autres en faveur de plus de ‘‘focus’’ sur leurs ex-colonies».
Bien informé sur le sujet, l’expert britannique laisse entendre que la politique européenne du voisinage (à travers le fameux fonds Enpi) «va changer».
«More for more» (plus pour plus) sera désormais à la base des rapports entre l’Europe et les démocraties émergentes.
Il explique: «L’Europe donnera plus d’argent si cet argent est bien utilisé, c’est-à-dire utilisé pour financer la promotion des droits de l’homme, la démocratisation et une presse libre».

Autrement dit, «on vous donnera davantage mais on attend de vous davantage». «Voir comment l’argent de l’Europe est dépensé et intervenir directement ou indirectement sont deux nouvelles donnes de la politique du voisinage», souligne M. Quin. Et nuance: «Il est plus question de véhiculer une image positive de l’UE que de vraiment aller au soutien des médias et des peuples (arabes)».
Il y a lieu, cependant, de se demander s’il peut vraiment exister «un financement inconditionnel». Une interrogation partagée par M. Quin: «la conditionnalité peut-elle réussir là où elle a toujours échoué?»
Pour ce qui est des états des lieux des médias arabes, tunisiens en particulier, M. Quin pense «qu’il reste énormément à faire aussi bien en haut de la pyramide (la censure) qu’à son bas (les connaissances de base)».

La Tunisie et l’Article 19
Intervenant dans le panel «comment bâtir les médias dans une démocratie», Agnès Callamard, directrice exécutive de l’association de défense des libertés de la presse Article 19, a noté «la dynamique» qui marque la transition tunisienne. Sur les chances de la réussite de la transition démocratique, notamment au niveau de la liberté d’information et la législation des médias, Callamard dit être «plus optimiste pour la Tunisie que pour l’Egypte».
Et reconnaissant que la révolution tunisienne est le fruit «d’une combinaison de nouveaux médias et des médias traditionnels», l’activiste a loué son aspect «très particulier». «C’est une révolte populaire où le politique n’a joué aucun rôle», a-t-elle noté.
Quant à Zahera Harb, professeur de communication à l’université de Nottingham, elle s’est demandée si internet, «qui a largement contribué à l’éviction de Ben Ali et Moubarak du pouvoir est capable de constituer un outil qui permettra aux peuples de s’exprimer et d’atteindre leurs objectifs de la liberté et de la démocratie».
Notons que le colloque de Londres a été organisé par la BBC Academy et la London School of Economics et accueilli dans les locaux de cette dernière.
Un grand nombre de journalistes, de blogueurs et d’activistes du monde arabe y étaient présents aux côtés de centaines d’Européens du secteur de la presse, de la télévision et des nouveaux médias ainsi que des mondes de la politique et de l’économie.