Hizb Ettahrir, parti islamiste extrémiste non autorisé, propose «sa» version de la constitution dans des tracts distribués dans les souks de Tunis, à la sortie des mosquées.
Par Zohra Abid


Les souks de Tunis, vendredi 12 juin entre midi et quatorze heures. L’heure de sortie des bureaux. L’heure aussi de la grande prière de vendredi. Ça grouille dans tous les sens dans la vieille ville. Il fait aussi très chaud.
C’est l’endroit et le moment que choisit un groupe de jeunes pour distribuer des tracts. Ils en ont des liasses, qu’ils distribuent à tous les passants.

Devant la mosquée El Mehrass
Les commerçants, assis devant leurs boutiques, prennent leur temps de lire, sceptiques et incrédules. De quoi s’agit-il? «Vous n’avez même pas un parti officiel, allez, allez vous en!», réagit l’un d’eux. Un passant renchérit, lançant aux activistes: «Maintenant, il ne nous manque plus que vous. Alors-là, c’est vraiment la totale, dégagez!». Le militant de Hizb Ettahrir continue son chemin, imperturbable. Une autre personne tente de le chasser: «Mais dégage d’ici!». Un curieux lui court derrière pour se servir.
Comme cet ado presque imberbe, d’autres jeunes militants – 15, 16 ou tout au plus 18 ans –, font le tour de la Médina. Leur mission du jour: distribuer le maximum de tracts. C’est pourquoi ils vont dans les endroits où ils sont assurés de rencontrer le plus de monde, devant la mosquée El Mehrass, à l’entrée de la rue de la mosquée Zitouna. Là, des piles de tracts sont à la disposition des fidèles qui viennent de terminer leur prière du vendredi. Plusieurs se servent. D’autres passent leur chemin. D’autres encore affichent leur mépris pour ces  activistes qu’ils grondent en passant.


Conférence de presse de Hizb Ettahrir début mars à Tunis

A la Place de la Victoire, les tréteaux des vendeurs à la sauvette remplissent l’aire. C’est noir de petites gens. Au pied d’une banque, deux barbus. Impossible de pouvoir fixer le regard sur eux. Par crainte de provoquer leur colère. A leur côté, des cartons pleins de tracts. Pas loin, des agents de sécurité. Un groupe de quatre qui causent entre eux. Pas loin aussi, des soldats qui montent la garde de l’avenue de France.
Ainsi va le quotidien de la jeune démocratie tunisienne: des agents de sécurité et des militants islamistes extrémistes se côtoient et ne se regardent même pas. En d’autres temps, pas si anciens, cette proximité n’aurait été possible que dans les geôles du ministère de l’Intérieur ou dans les prisons.

Retour, pur et simple, à la charia
Mais que dit le tract de Hizb Ettahrir? D’abord en titre: «Au nom de Dieu clément et miséricordieux. Vous êtes musulmans, accepteriez-vous une autre loi que celle de l’islam?» Puis en sous-titre: «Hizb Ettahrir vous propose une constitution». Pas moins?
Pourquoi se casser la tête à faire élire une assemblée constituante? Pourquoi se chamailler à propos d’une date pour la tenue du scrutin? Pourquoi perdre son temps à essayer d’élaborer une loi électorale, à renouveler les listes des électeurs, à organiser des opérations de vote, à dilapider de l’énergie, de l’argent et du temps dans des campagnes électorales aussi fastidieuses qu’inutiles?
Hizb Ettahrir, qui n’a jamais cru à la démocratie ni aux élections ni à la représentativité populaire, tient un bon raccourci: se passer, purement et simplement, d’une assemblée constituante, «qui risque d’adopter une loi non conforme à celle d’Allah», et revenir, purement et simplement, à la charia. Il n’y a pas, disent-ils, une constitution plus juste et plus respectueuse de la volonté divine?
«Une assemblée constituante dont les membres seront élus par la force de l’argent politique sale ou sous la pression de puissances coloniales (…) ne saurait réaliser nos aspirations et nos espoirs de libération et d’émancipation», lit-on dans le tract. Qui ajoute: «Le retour de l’islam dans notre vie ne sera pas assuré par un simple article de la constitution stipulant que la religion officielle de l’Etat est l’islam. Cet article à portée symbolique n’aurait aucune valeur et les gouvernants y recourent par hypocrisie, par ruse et pour faire taire les masses musulmanes. Le retour de l’islam dans la vie, la gouvernance et la souveraineté ne saurait se réaliser sans un Etat qui mette la foi islamique à la base même de la constitution et des lois».

Un mélange d’utopie et d’intégrisme
Quand on connait les fondamentaux idéologique de Hizb Ettahrir, ces affirmations ne surprennent pas. Elles démontrent seulement que les membres de ce mouvement minoritaire sont loin d’avoir abandonné leur projet de société islamique fondée sur une approche salafiste. Dans un point de presse, tenu début mars à Tunis, quelques jours avant d’essuyer le refus d’autorisation du ministère de l’Intérieur, Ridha Belhadj, porte-parole officiel de ce parti, avait déjà donné un avant-goût du projet de société que son mouvement prépare pour la Tunisie?
Ce parti, qui vient de sortir de la clandestinité à la faveur de la libération de l’expression politique induite par la révolution tunisienne, préconise «la souveraineté de la oumma islamique», considère le califat comme le régime le plus approprié et la charia comme l’unique loi viable pour la Tunisie et le reste du monde islamique.
Le mouvement de M. Belhadj, qui ne cache pas son ambition de prendre un jour le pouvoir, même au prix d’un mouvement de désobéissance civile, promet également d’interdire aussitôt les partis politiques. Car ses membres ne croient à la démocratie qu’en tant que moyen pour accéder au pouvoir. La société idéale serait, à leurs yeux, celle qui vit selon les règles et, peut-être aussi, les conditions qui furent celles de la société islamique aux premiers temps de la révélation. Utopie? Intégrisme? Un mélange des deux, sans doute. Mais un mélange dangereux, qui risque de mettre en danger tous les acquis de la société islamique actuelle, tolérante, ouverte et moderne.

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