C’est, en tout cas, ce qu’a déclaré, vendredi, à l’Associated Press son avocat français, Me Jean-Yves Leborgne, en réaction à l’annonce de l’ouverture du procès de l’ex-président, lundi, à Tunis.
La justice tunisienne accuse l’ex-président, qui s’est réfugié en Arabie saoudite le 14 janvier, de complot contre la sûreté de l’Etat, homicides volontaires, torture, abus de pouvoir, malversations, blanchiment d’argent, trafic de drogue. En tout, 93 chefs d’accusation, qui prévoient des peines allant de 5 ans à la peine capitale.
La défense de… l’absent
Le procès s’ouvrira devant la chambre criminelle du tribunal de première instance de Tunis, en l’absence de l’ancien couple présidentiel, l’Arabie saoudite n’ayant pas réagi, à ce jour, à la demande tunisienne d’extrader Zine El Abidine Ben Ali et Leîla Trabelsi. Deux avocats ont été commis d’office pour défendre les deux accusés, car leurs deux avocats franco-libanais, Jean-Yves Le Borgne et Akram Azouri, se heurtent à la législation tunisienne qui stipule qu’un avocat étranger doit être accompagné d’un confrère tunisien et que, dans ce cas, le client doit être présent au procès.
Selon Me Leborgne, Ben Ali «conteste» les éléments matériels comme «la détention de sommes d’argent extraordinaire, la détention de drogue». Quant aux armes retrouvées dans l’un de ses palais, l’ancien président affirme que ce sont des «cadeaux», a indiqué Me Leborgne joint par téléphone.
«Tout ça se résume à la justice des vainqueurs et à l’éradication du passé», a-t-il ajouté soulignant que le «processus judiciaire» à l'encontre de son client était «une méthode de liquidation politique».
Interrogé sur l’état de santé de son client, Me Leborgne s’est refusé à tout commentaire affirmant qu’il n’avait «pas les compétences médicales» pour le faire. «Il n’est pas dans l’état où on l’a décrit», a-t-il relevé avant d’indiquer qu’il s’était entretenu avec son client «dans ses conditions normales».
En France, le parquet de Paris a ouvert le 24 janvier une enquête préliminaire confiée notamment à la Plate-forme d’identification des avoirs criminels afin d’identifier les biens qui pourraient appartenir à M. Ben Ali en France ou ses proches. Deux associations ont déposé plainte en France contre l’ex-président et son entourage.
Me Leborgne a indiqué à l’AP n’avoir engagé en France aucune procédure de restitution d’avoirs saisis. Dans un communiqué, M. Ben Ali avait assuré ne posséder «ni biens immobiliers, ni avoirs bancaires en France non plus que dans un autre pays étranger».
Effet d’annonce pour manipuler l’opinion
Si certains se réjouissent de voir les méfaits présumés du couple scrutés par un tribunal, d’autres ne voient dans ce procès Ben Ali sans Ben Ali qu’une tentative de calmer à bon compte une opinion impatiente devant la lenteur des changements.
«Pour moi c’est un non-événement. C’est une fumisterie. On a tout fait pour ne pas lui faire un véritable procès. C’est un effet d’annonce pour manipuler l’opinion», a déclaré à l’Afp le journaliste Taoufik Ben Brik, opposant acharné à M. Ben Ali. Pour lui, les autorités auraient mieux fait de s’en prendre aux membres ou partisans du régime déchu encore en Tunisie.
Radhia Nasraoui, avocate et militante réputée des droits de l’homme, a pour sa part jugé «frustrant» que M. Ben Ali soit jugé par contumace. Elle aurait préféré que les autorités prennent plus de temps pour obtenir son extradition. «Ça ne va pas être le procès qu’on aurait souhaité pour Ben Ali. Il est responsable de milliers de cas de torture, de centaines de morts. Sa famille a pillé le pays. Comment va-t-on pouvoir le juger s’il n’est pas là'", a-t-elle dit à l’Afp.
Il y a des dossiers autrement plus brûlants
«Ce procès est un non-sens, de la poudre aux yeux. Il est destiné à calmer les esprits et non à dévoiler la vérité», juge Hamma Hammami, chef historique du Parti ouvrier communiste tunisien (Poct). «Les autorités auraient dû commencer par juger les symboles de la dictature et de la corruption que sont les conseillers et ministres de Ben Ali en attendant de faire plus de pressions internationales pour le faire extrader», dit-il à l’Afp.
Pour lui, «il y a des dossiers autrement plus brûlants que de juger Ben Ali par contumace: l’assainissement des médias, du système judiciaire et de l’appareil sécuritaire».
Mais pour Slah Jourchi, vice-président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (Ltdh) et porte-parole de la Commission d’enquête sur la corruption et les abus de pouvoir, le procès aura quand même «une portée psychologique et politique» car les Tunisiens sont «assoiffés de connaître la vérité et de voir l’ex-président rendre compte au peuple». Ce sera un procès sans conséquence pour l’accusé, mais il permettra au moins «de dire à Ben Ali en fuite que la page ne sera pas tournée et qu’il sera poursuivi en Tunisie et même à l’échelle internationale», ajoute-t-il.
Le colonel-major Marouane Bouguerra, directeur général de la Justice militaire, a annoncé, vendredi, que le juge d’instruction militaire prépare le dossier pour demander à l’Arabie Saoudite d’extrader l’ex-président. Cette demande sera effectuée conformément au texte de la convention de coopération judiciaire arabe de Riad, signée en 1983, et relative aux avis, aux commissions rogatoires, aux exécutions des peines et à la remise des criminels.
Imed Bahri (avec agences)
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