Sfax, mardi 21 juin, jour de l’inauguration de la 45e Foire internationale de la ville par Béji Caïd Essebsi, Premier ministre du gouvernement provisoire. Une véritable foire d’empoigne. De l’anarchie en sus! Par Zohra Abid
Qui était du rendez-vous? Des ministres, des représentants de partis et, bien évidemment, les membres de l’Utica (patronat), ainsi qu’une armada de journalistes qui s’est déplacée de Tunis pour couvrir l’événement. Vous dites couvrir, mais couvrir quoi? Une foire, quelle foire?
A l’affiche: des slogans et des protestations
A l’accueil, on a placé des barrières pour neutraliser les protestataires qui manifestaient leur mécontentement brandissant leurs banderoles sous le regard vaillant des agents de la sécurité et des militaires. Le mot «Dégage!», revenu en force, a déjà annoncé l’ambiance à l’intérieur. Reste à savoir à qui cette injonction était adressée. On le saura bien après.
Devant les portes d’entrée en fer forgé, on filtrait tout. Seulement ceux qui avaient un badge ou une invitation étaient autorisés à entrer. Le Premier ministre – en visite à Sfax pour la première fois depuis sa nomination au gouvernement provisoire – avait, certes, l’honneur d’inaugurer la foire, mais il n’a pas vu grand-chose des stands. Trop d’anarchie! Il a parlé peut être à trois ou quatre des 267 participants, tout au plus. Puis, il a vite tourné le dos. Tout le monde se bousculait autour de lui et il a fallu l’éloigner de la foule. Direction: la salle de conférence au premier étage.
La salle était archi comble. Du brouhaha. Du mécontentement. Le ton n’a pas cessé de monter de partout. C’est quoi le problème?
Des foules de manifestants à l'inauguration de la foire
Au moment où Abdellatif Zayani, président de l’association de la Foire internationale de Sfax, prenait la parole, des voix se sont élevées pour le conspuer, ne le laissant pas terminer son mot de bienvenue. A chaque fois qu’il prononçait une phrase, on criait au menteur: «Il ment»! «Pas vrai»! «On en a marre»!...
La salle de conférence s’est vite transformée en un véritable souk. Des cris par-ci et des cris par là. Comment faire taire ces gens-là au fond de la salle? On ne va pas les mettre dehors! Ce sont, pour la plupart, des opérateurs économiques, membres de l’Utica. Ils reprochent à M. Zayani et à son équipe d’être d’anciens Rcdistes proches de Hedi Djilani, qui se sont imposés par un putsch en règle. Un moment d’hésitation.... On a renoncé. Ça aurait été inélégant voire grotesque de mettre la révolution dehors et de laisser toute la place à des caciques du Rcd en mal de recyclage, et qui refusent encore de lâcher le morceau.
Pour étouffer les cris, on a recouru aux vieilles méthodes: les chauffeurs de salles se sont mis aussitôt à applaudir. Puis, place à l’hymne national. Tout le monde débout, pour la sacrée patrie.
«Dégage, c’est fini !»
Et c’est là que le Premier ministre, comme un maître d’école, prenait le micro. Il a dû en gronder quelques uns pour pouvoir mettre enfin de l’ordre dans les rangs. Et c’est là aussi où la raison a gagné et le calme est revenu peu à peu. Tout le monde a semblé reprendre ses esprits. Et c’est tant mieux ainsi!
Utilisant son habituel ton paternel, à la fois doux et ferme, M. Caïd Essebsi a pu maîtriser la situation. Il a rappelé tout d’abord le devoir de citoyenneté, soulignant la nécessité d’arrêter l’anarchie. «Notre devoir à tous, c’est de ne pas gâcher la révolution, nous devons la protéger. Le gouvernement a aujourd’hui une priorité: celle des régions tant marginalisées», a-t-il dit.
Les diplômés chômeurs manifestent à l'entrée de la foire
Pour rassurer les investisseurs et les hommes d’affaires, M. Caïd Essebsi a ajouté que si la situation en Libye s’améliore, il y aura des opportunités pour booster l’économie et absorber le chômage. «Parmi les villes qui vont en tirer le plus profit ce sera Sfax. Pour le moment, le gouvernement vient d’établir un programme de relance économique sur 5 ans nécessitant la somme de 125 milliards de dollars de financement dont 25 milliards d’emprunts étrangers dans le cadre de nos négociations avec le G8», a expliqué le Premier ministre. Il a ensuite rappelé que la situation économique du pays ne permet plus les grèves et les sit-in, qui affectent l’économie et paralysent le processus de développement.
Les protecteurs de la révolution à Sfax crient Dégage!
«Selon les dernières estimations, la croissance en 2011 ne dépassera pas 0,5%», a mis en garde le Premier ministre, qui ne veut plus entendre parler des grèves, ni le fameux mot de la révolution «Dégage!». Et de proposer son slogan à lui, «Dégage, c’est fini !».
Retour en force des Rcdistes
Dehors, on criait toujours, on continuait à manifester colère et mécontentement. «Du travail, de la dignité» pour les uns. Pour les autres, d’autres slogans comme «Dégage !», «Non à l’impérialisme»... Dans les coulisses, on parlait beaucoup du retour des hommes d’affaires qui ont servi l’ancien régime. Ça les agace de revoir ce monde encore aux commandes. «La salle était à 90% pleine de gens du Rcd», raconte-on. «Il y a un peu plus de deux semaines, les anciens de l’Utica ont repris leur siège au bureau exécutif régional, chassant les nouveaux par la force. Ils sont revenus comme s’il n’y avait rien eu», raconte un homme d’affaire présent. Autre son de cloche: «Oui, nous avons gagné le procès et il est de notre droit de revenir», ont affirmé à Kapitalis deux femmes d’affaires de l’ancien bureau régional de Sfax.
Avant de quitter la capitale du sud, les invités avaient droit à un festin royal. Quant au Premier ministre: la journée était très mouvementée. Et, surtout, fatigante. A chaque jour suffit sa peine. Et demain est un autre jour...