Mardi, devant une salle pleine, le leader d’Ennahdha, a démenti les accusations lancées la veille contre son parti par le Premier ministre. Tout en dénonçant la violence, il a tenté de dissiper les soupçons pesant sur son parti. Par Zohra Abid
Au lendemain du discours du Premier ministre accusant – sans les nommer – certains partis ayant été derrière les actes de violence survenus ces derniers jours, les soupçons s’étaient dirigés vers le parti Ennahdha. Une conférence de presse s’est donc imposée, qui s’est tenue mardi au siège du parti islamiste tunisien. «Le parti Ennahdha n’est pas concerné mais il faut bien élucider une fois pour toute une série de questions qui pourraient porter préjudice aux islamistes», a conseillé Mustapha Filali, l’un des membres de la première constituante tunisienne en 1956, sur la chaîne qatarie Al Jazzera quelques heures après le discours du Premier ministre.
La date des élections est sacrée
Rached Ghannouchi est revenu, à la virgule près, sur le discours de Béji Caïd Essebsi. Tout en plaidant non coupable, il a précisé que son parti n’a jamais appelé à la démission du gouvernement par intérim, mais ceci ne l’empêche pas de dire ce qu’il pense de la politique actuelle qui a tourné le dos aux jeunes et aux objectifs de la révolution.
Le chef islamiste a notamment rappelé que son parti tient plus que jamais au respect de la date des élections de la constituante pour le 23 octobre prochain et qu’Ennahdha, de peur que la situation ne se détériore davantage dans le pays, a été parmi les rares partis à avoir tenu fermement à la date du 24 juillet. Il voulait ainsi répondre aux lourdes allusions du Premier ministre, accusant certains partis de provoquer des violences pour justifier un nouveau report de la date des élections.
Revenant sur le sit-in de la Kasbah III étouffé dans l’œuf, M. Ghannouchi a été clair dans son message. «Nous n’avons pas appelé au sit-in de la Kasbah. Mais Ennahdha pourrait être présente dans ce sit-in à travers ses jeunes adhérents qui, comme tous les jeunes, cherchent à réaliser les objectifs de la révolution. Nous les soutenons et nous allons continuer à les soutenir. Quant à la violence, nous la condamnons en bloc. Nous la dénonçons d’où elle vient», a-t-il lancé. Et de rappeler que peu importent les raisons, les actes de violence n’ont pas à avoir lieu. «Il est vrai qu’il y a un ralentissement dans le jugement des symboles de la corruption du régime déchu, un retour dans toutes les entreprises des figures anciennes, et lorsque les jeunes se regardent dans le miroir politique, ils ne se voient pas, ils ne s’identifient pas; d’où la tenue des grèves et des sit-in dont celui de la Kasbah III, mais pas question que des actes pacifiques tournent à la violence», a-t-il souligné tout en insistant qu’Ennahdha n’a appelé ni à ce sit-in, ni à ceux de Kasbah II ou Kasbah III. «Ces sit-in sont pacifistes donc légitimes», a-t-il cependant approuvé.
Ennhadha symbolise le consensus
Selon M. Ghannouchi, à chaque fois, où la tension monte dans le pays, le gouvernement (ou les gouverneurs) fait appel aux hommes d’Ennahdha pour intervenir et calmer les esprits. M. Ghannouchi a passé en revue quelques exemples notamment les événements de Metlaoui, lorsque Abdelfattah Mourou s’est déplacé et a éteint la flamme déclenchée dans la ville. «Ennahdha est le symbole du consensus, de l’apaisement et non d’explosion. Le discours prononcé lundi par le Premier ministre nous a franchement surpris. En lançant des accusations contre certains partis sans les nommer, il a ouvert la porte à des supputations et laissé certaines personnes douter de notre crédibilité», s’est indigné le leader islamiste. Et d’ajouter qu’Ennahdha ne se considère pas comme un parti de droite ni de gauche mais un parti centriste qui s’est mobilisé notamment dans les centres d’examen pour que tout aille au mieux pendant la période du concours du bac, ainsi que dans la protection des domaines agricoles.
«Ceci est notre devoir. Nous sommes avec la sécurité et la stabilité dans le pays», a dit M. Ghannouchi. En réponse à M. Caïd Essebsi, qui accusé, toujours sans le nommer, Ennahdha de recourir au double langage, son leader a dit: «Celui qui a un double discours est un hypocrite et nous n’appartenons pas à cette catégorie».
Dans le même ordre d’idée, M. Ghannouchi a fermement condamné la violence exercée sur les agents de sécurité, les postes de police et autres biens publics ou privés. «Nous sommes contre la criminalisation de l’uniforme de l’agent de sécurité. Cet uniforme doit susciter la quiétude chez le citoyen. La police est républicaine et elle reste au service du citoyen. Celui qui a une barbe et porte un ‘‘qamis’’ n’est pas nécessairement un terroriste. Peu importe sa tenue vestimentaire, sa foi, sa pensée laïque ou islamique, le Tunisien est avant tout un Tunisien», a-t-il affirmé.
Appel à une commission d’enquête
«Le parti a un devoir national. Il a aussi un devoir religieux. Ennahdha dénonce la torture des hommes et les violations de lieux saints», a expliqué Ghannouchi. Et d’ajouter: «Lundi soir, on est entré dans les mosquées avec des chiens à Menzel Bourguiba. Concernant les incidents de la Kasbah III, nous demandons la mise en place d’une commission d’enquête indépendante».
Avant d’exhorter le peuple à aller massivement aux urnes, M. Ghannouchi est allé, lui aussi, de son reproche aux médias: «Il ne faut pas être partial. Il ne faut pas trop magnifier des partis au détriment d’autres. Et, surtout, ne pas en diaboliser certains», a-t-il insisté.
La conférence de presse a permis aux militants d’Ennahdha de clarifier leur position. Et de répondre à leurs détracteurs, au sein du gouvernement, de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution et de certaines formations de gauche ou à vocation laïque. Malgré le ton franchement hostile des questions posées par certains confrères, M. Ghannouchi a essayé de garder son sang froid en développant un discours consensuel et apaisant ! Ceux qui voulaient le faire déraper en ont donc eu pour leur frais.