«Je serai le premier à féliciter le parti majoritaire lors des élections de la Constituante du 23 octobre», a déclaré Ahmed Néjib Chebbi. Par Zohra Abid
Le fondateur du Parti démocrate progressiste (Pdp), qui parlait lors d’une conférence de presse, mardi, au QG de son parti à Tunis, se doutait-il soudain du triomphe annoncé de son parti? Non bien sûr, mais sa profession de foi démocratique était nécessaire pour rectifier l’image quelque peu brouillée du Pdp, qui a montré beaucoup d’empressement, sinon une impatience certaine à franchir la ligne d’arrivée.
Nous sommes à seulement quelques enjambées du ministère de l’Intérieur, au centre-ville de Tunis. La petite salle au premier étage du siège du Pdp était archicomble. Me Chebbi, fondateur du parti, et Maya Jeribi, sa secrétaire générale, tous deux mobilisés pour condamner les actes de violences survenus, le week-end dernier, un peu partout dans le pays.
Les deux Pdpistes n’ont pas oublié de présenter leurs condoléances à la famille de Thabet Belkacem, l’enfant de Sidi Bouzid, tué à 14 ans par une balle qui a ricoché, tiré par un soldat, au lendemain des incidents de la Kasbah III. Tous deux n’ont pas omis, non plus, d’exprimer une pensée à la mémoire des policiers blessés suite à ces incidents. Et de condamner violemment les incendies et les actes de violence déclenchés en même temps dans plusieurs régions du pays et tous ceux qui sont derrière.
Le gouvernement impose
M. Chebbi et Mme Jeribi ont appelé le peuple tunisien à la vigilance et affirmé que la Tunisie passe par un très mauvais quart d’heure. Selon eux, le moment est grave et il faut faire face aux partis qui cherchent à nuire à la Tunisie et à sa stabilité politique. Quels partis? Il n’est pas difficile d’imaginer celui que les deux leaders politiques désignent sans le nommer.
Les mots comme chaos, anarchie, instabilité, situation dégradée, péril... sont revenus en boucle durant près d’une heure dans les déclarations du tandem. Il y a donc péril dans la maison Tunisie. Me Chebbi comme Mme Jeribi sont donc en accord parfait avec le Premier ministre Béji Caïd Essebsi qui avait sonné l’alarme la veille. Ils ont aussi exprimé le sentiment d’inquiétude qui anime la majorité des Tunisiens. Car, ont expliqué les conférenciers, le pays est au bord du précipice et il y a ceux qui cherchent par tout moyen à faire avorter, non seulement le processus électoral, mais aussi la révolution «afin de s’emparer du pouvoir sans passer par le suffrage et contre la volonté du peuple». Qui sont ces putschistes pressés de franchir la ligne d’arrivée? Il n’est pas difficile d’imaginer le parti ainsi désigné par les deux leaders politiques sans le nommer.
Pour donner du crédit à leurs accusations à peine voilées, les deux dirigeants Pdpistes ont cru devoir rappeler «les événements de 1989 et 1990». Que s’est-il passé ces deux années là? Les jeunes ne le savent peut-être pas. On ne perd rien à leur rafraîchir la mémoire. «Certains partis ont voulu arriver au pouvoir au prix du chaos, de l’anarchie et de la violence destructive», a expliqué le tandem Chebbi-Jeribi.
Le peuple dispose
Cela rappelle aux Tunisiens d’un certain âge une littérature très familière à leurs oreilles. Celle des médias de l’ancien régime, qui utilisaient exactement les mêmes mots pour justifier la politique éradicationniste de Ben Ali, dont on ne connait que trop les conséquences.
Comme les sondages – dont la crédibilité n’est même pas assurée – donnent l’«ogre islamiste» gagnant à l’élection de l’Assemblée constituante, le 23 octobre prochain, et que cela pourrait faire barrage aux ambitions du Pdp, il est, peut-être, de bonne guerre d’appeler au loup islamiste. Mais est-ce vraiment une bonne stratégie? Si ça a fonctionné une fois, est-ce que cela pourrait fonctionner à tous les coups? Entre 1989 et 2011, il y a eu Ben Ali et son système, et les Tunisiens sont avertis…
Les dirigeants du Pdp ont désigné, sans les nommer, les coupables parfaits qui se tiennent derrière les derniers désordres enregistrés dans le pays. Ils ont insisté sur la nécessité de mettre fin au désordre, aux grèves, aux sit-in, afin que le pays se relève. C’est légitime, et c’est ce que demandent tous les Tunisiens. Reste que les Tunisiens demandent aussi que justice soit rendue, que la corruption cesse, que les criminels, qui ont pillé le pays et ordonné l’assassinat des jeunes soient jugés rapidement et que les symboles de l’ancien régime, qui occupent encore des postes importants dans les administrations, dégagent enfin. Ces appels et ces cris, n’ont apparemment pas trouvé d’écoute attentive auprès des leaders du Pdp.