La Fidh dresse un état des lieux des violences perpétrées par les forces de sécurité après la chute du régime de Ben Ali, le 14 janvier: matraques et passages à tabac, arrestations arbitraires et actes de torture…


La révolution était censée mettre fin à ce système de répression organisée, qui a muselé les Tunisiens pendant un demi-siècle et les a privés de leurs libertés. Un rapport de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (Fidh), intitulé ‘‘La Tunisie post-Ben Ali face aux démons du passé’’, publié mercredi 20 juillet, est venu donner de nouveaux arguments aux opposants au gouvernement provisoire affirmant que ce système est toujours en place.

Des témoignages accablants
Le rapport est le résultat d’une mission qui s’est déroulée courant mai dans le pays en coordination avec la Ligue tunisienne des droits de l’homme (Ltdh), présidée par Me Mokhtar Trifi, et le Conseil national pour les libertés en Tunisie (Cnlt), présidé par Sihem Bensedrine.
L’organisation internationale, présidée par la Tunisienne Souhayr Belhassen, dénonce, dans son rapport, «la  répétition des crimes du passé à ce moment clé de la construction d’une Tunisie démocratique». Sa conclusion est sans appel: les violences qui s’abattent sur les militants pour la démocratie depuis la chute du régime Ben Ali, le 14 janvier, font partie d’«une répression organisée, décidée au plus haut niveau et avec pour objectif d’instiguer la peur chez les manifestants».
À travers une série de témoignages, recueillis dans les villes où la répression a été la plus violente, Tunis, Kasserine et Siliana, l’Ong dénonce ce que Clémence Bectarte, avocate française en charge de la coordination du Groupe d’action judiciaire de la Fidh, appelle «un schéma commun»: les policiers en civil et les hommes encagoulés, les matraques et les passages à tabac, les arrestations arbitraires et les actes de torture, qui ont touché des centaines de personnes depuis janvier.
Comme ce jeune homme de 26 ans, arrêté lorsque son cortège se dirigeait vers la Kasbah de Tunis, le 1er  avril, emmené dans une cellule de 20 m2 avec 18 autres personnes, où il a été placé à plat ventre, avant qu’on ne lui demande de ramper et qu’on ne lui marche dessus.
Des exactions contre la presse et les cyber-activistes
Le rapport évoque le cas d’un cyber-activiste de 24 ans, dont la tête a été frappée contre les murs à plusieurs reprises. Ou celui d’un homme de 34 ans, ligoté pendant six jours et placé dans la position «du poulet rôti», suspendu à une barre, pieds et poings liés.
La plupart des manifestations à travers le pays se sont déroulées sereinement et la répression n’a pas été «systématique», reconnaît cependant le rapport. Les autorités assurent qu’à Tunis, les 6 et 7 mai notamment, à Kasserine les 25 février et 29 avril, et à Siliana, le 26 avril, elles devaient réagir face aux «casseurs», parfois violents. Clémence Bectarte parle, à ce propos, de «moments où les revendications étaient si fortes que le pouvoir en place perdait le contrôle».  Cela explique mais ne justifie en rien, ajoute-t-elle, les exactions commises à l’encontre des journalistes, des organisateurs, des activistes et blogueurs, «simplement armés de leur appareil photo».
Ces violences ciblées montrent, pour l’auteur, que «la répression est organisée au plus haut niveau pour mater la rébellion». Elle cite le ministère de l’Intérieur – dont le portefeuille est détenu par Habib Essid, qui avait fait un passage par la maison entre 1997 et 2001–, mais ne donne pas de noms.

Rompre avec les pratiques héritées de l’ancien régime
Le rapport incrimine, par ailleurs, de nombreux dysfonctionnements, hérités de l’ère Ben Ali, au sein des systèmes policier et judiciaire: les plaintes des victimes classées sans suite, les jugements devant les tribunaux militaires, les procès-verbaux entachés d’irrégularités. L’Ong souhaite mettre en garde «contre le danger que représente la répétition, même à une échelle sans comparaison avec les pratiques du régime déchu, des crimes du passé à ce moment clé de la construction d’une Tunisie démocratique».  
La Fidh, qui a déjà eu et qui aura encore des rencontres avec les responsables tunisiens, salue néanmoins une «volonté manifeste» des autorités «d’entamer un dialogue constructif avec la société civile». «Car, explique Clémence Bectarte, la période est dangereuse. Il est difficile d’agir avant les élections d’octobre. Dans l’attente, tout reste figé, et notamment les pratiques héritées du système de Ben Ali, dont il faudrait pourtant se débarrasser au plus vite.»  
Le rapport met en évidence une réalité: les forces de police tunisiennes n’ont jamais été formées à la gestion des manifestations et des troubles à l’ordre public. Elles devront l’être mais il s’agit d’une œuvre de longue haleine. Un premier séminaire sur la réforme de la police a été organisé à Tunis, le 16 mai dernier par le Cnlt et la Coalition de la société civile tunisienne avec le soutien de la Ltdh. Il rassemblait des responsables du ministère de l’Intérieur – dont le ministre – ainsi que de représentants de la société civile tunisienne et des experts internationaux. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

Source : agences.