Amputés de la jambe, des doigts, des orteils ou du bras, corps brûlés à je ne sais combien de degré, ces blessés libyens transférés à Tunis pour des soins, sont armés d’espoir. Et ils ont confiance en l’avenir de leur pays.
Reportage de Zohra Abid


Vendredi dernier, un avion qatari en provenance de Benghazi (Libye) a atterri à l’aéroport de Tunis-Carthage. A son bord : 34 blessés, des hommes à la fleur de l’âge, dont l’état nécessite des soins intensifs. Ils ont été vite hébergés dans les hôpitaux de Nabeul, Bizerte et le Grand Tunis. Parmi ces blessés: Naïm Mahmoud Ouerfelli, Meftah Aouadh et Néjib Ounis. Kapitalis leur a rendu visite.

Sous haute surveillance
Mercredi après midi. Le pavillon des urgences du Centre de traumatisme et des grands brûlés de Ben Arous (dans la banlieue sud de Tunis) ne désemplit pas. A la réception, quatre femmes accueillent avec le sourire les patients. Des hommes de sécurité gardent toutes les issues du centre hospitalier. Ils scrutent tous les passants. Et filtrent vraiment tout.
A droite de l’entrée colossale, des blessés graves et moins graves accompagnés de leurs proches. Après avoir été inscrits, ils attendent... Médecins et staff de garde viennent à leur secours et à chacun son tour.
Pour rendre visite aux Libyens hospitalisés depuis cinq jours dans ce centre, ce n’est pas vraiment une mince affaire. Il a fallu passer par la hiérarchie de l’hôpital et avoir au final l’autorisation du surveillant général.


De gauche à droite, Naïm, Néjib et Meftah.

Au 4e étage, au service de la réanimation, il y a grand silence. Et une forte surveillance. Impossible de rendre visite à ce médecin libyen blessé pendant le dernier bombardement de Kadhafi. Selon l’infirmière, son état est très grave. «Ce médecin interne fait pitié. Il est totalement défiguré. Nous allons tenter de faire le nécessaire pour soigner sa peau», nous a-t-elle murmuré, tristement.

La bougie du retour 
Au deuxième étage, dans l’une des chambres d’un pavillon interminable, quatre lits. Tous occupés. A gauche, un Tunisien qui vient d’être fauché par un bus il y a une vingtaine de jours alors qu’il rentrait de son travail. A ses côtés, Naïm le Libyen est alité. «Je suis de Benghazi. Nous avons été blessés à Briga, samedi 16 juillet, par des obus de type Grad lancés par les troupes de Kadhafi. Ce jour-là, il y a eu 18 morts dans notre camp et 175 blessés», raconte Naïm, blessé au bras et au pied. Son état, selon lui, s’améliore peu à peu et il est heureux. Les yeux embués, il ne cesse de remercier les Tunisiens. «Je ne trouve pas les mots qu’il faut pour remercier ce peuple frère et voisin», répète-t-il, et toujours les larmes aux yeux.
A Benghazi, cet ancien fonctionnaire de la Poste centrale a laissé derrière lui femme et enfants. Sa fille Rawan, âgée de trois ans, et sa petite sœur Rayan, lui manquent tant. «L’anniversaire de la toute petite est aujourd’hui, le 27 juillet. Par téléphone, j’ai dit à ma famille de lui faire une petite fête. Mon épouse a dit qu’il n’est pas question de souffler la première bougie de Rayan sans que je sois présent», a-t-il dit, en essuyant discrètement une petite larme.

Hannay Rajâa, l’égérie des révolutionnaires
Meftah a été amputé de la jambe droite. Il n’a que 23 ans. Avant de se ranger du côté des «thouars» (révolutionnaires), il avait une boutique dans sa ville natale Ajdabia. Il vendait des téléphones mobiles. Meftah n’est pas le seul de sa famille à avoir rejoint les camps. Avec lui trois autres de ses frères. Comment vivent vos parents avec quatre enfants sur le front? «Très bien. Le jour où j’ai été blessé, ma mère m’a vu sans jambe, mais elle n’a pas versé une seule larme. Elle s’est exprimée, à sa manière, en laçant des youyous», raconte Meftah, en tripotant le clavier de son mobile. Il est sans cesse connecté sur facebook. Dans sa chaise roulante, il continue de communiquer avec les «thouar», la famille et les amis.
Malgré son état, le sourire ne quitte pas Meftah. Il dit qu’il a une telle force  en lui qu’il n’a plus peur de rien. Cette force, il l’a, en fait, dans le sang. D’où lui vient-elle ? De «hannay» (grand-mère), dit-il. En fait la «hannay» de Meftah n’est autre que «khalti» (tante) Rajâa. La chaîne qatarie Al Jazira lui a consacré, il y a un peu plus de trois mois, un reportage. Il s’agit de cette femme d’Ajdabia qui fait la cuisine tous les jours aux révolutionnaires depuis le début de leur insurrection contre le régime de Kadhafi.


Néjib revient de très loin.

Au coin de la chambre, Néjib Ounis parle à peine. Il est chevillé à son lit. Les infirmiers disent que le blessé revient de loin. Tout son corps est brûlé, bras et jambes pansés. Il ne bougeait pas et il ne parlait pas. «A le voir à son arrivée, on ne croyait pas nos yeux. Son bras était comme déchiqueté. Son autre bras était très gonflé. Maintenant, nous pouvons dire qu’il l’a échappé belle», raconte une jeune infirmière, debout à son chevet.

Détrôner Kadhafi et... mourir
Néjib vient de Benghazi. Avant la révolution, il était de la police et il a choisi de se ranger comme toute la région de l’est libyen aux côtés des révolutionnaires. Néjib n’est pas le seul de la famille à combattre Kadhafi. Deux autres de ses frères sont sur d’autres fronts. L’un était comme lui de la police et l’autre, un homme d’affaires. «Tous les jeunes âgés de 17 à 23 ans de la région de l’est sont sur tous les fronts. Nous allons combattre ce régime jusqu’à la dernière goutte de notre sang. Nous nous sommes jurés et nous l’avons promis à nos femmes, à nos enfants, à nos parents», dit Néjib qui, comme Meftah et Naïm, croit en la cause de sa peuple: détrôner Kadhafi.


Naïm nous offre des bonbons de Khalti Rajaa.

Alors que Kapitalis causait avec Meftah et Néjib, Naïm a fait des efforts pour se déplacer en boitant jusqu’à son lit. Il a ouvert sa valise, cherché sa casquette tricolore et tiré d’un sachet trois bonbons pour nous les offrir. «Non, vous allez les prendre madame. C’est Khalti Rajâa qui nous a donné ces gourmandises. Ces sucreries sont comme un porte-bonheur, ne nous décevez-pas !».
Naïm, superstitieux, croit à la baraka de Khalti Rajâa, la «hannay» de Meftah. Selon le papa de Rayan, à voir ce que fait la dame malgré son âge très avancé, ça ne peut que donner aux jeunes le courage pour continuer le combat.
Prompt rétablissement à tous! On se reverra peut-être demain, dans Triploi libéré.