Au terme de trois procès en un mois, Ben Ali, 74 ans, a écopé de 66 ans de prison. Or, il est impliqué dans 138 affaires. A quoi tout cela rimerait-il?


A ce rythme, Ben Ali, dont les procès se déroulent par contumace – il a trouvé asile en Arabie saoudite qui refuse de l’extrader –, pourraient cumuler des condamnations de centaines d’années d’emprisonnement et des dizaines de millions de dinars d’amendes. Cela en deviendrait presque risible. Et les Tunisiens auraient du mal à admettre que la justice a été faite. Ils auraient du mal aussi à accorder la moindre crédibilité à une justice, jadis au service du dictateur, et qui, soudain, en deux temps trois mouvements, s’est retournée contre lui. Avec un étalage de gesticulations et d’effets de manche…

Une pièce désormais bien rodée
Les crimes de Ben Ali sont très nombreux. Il fut l’un des dictateurs les plus bornés, laissant partout les traces de ses forfaits. On l’a condamné jusque là pour des affaires d’abus de pouvoir, de corruption financière, de fraude immobilière, de détention d’armes et de stupéfiants, de détournement de fonds et de possession illégale de devises étrangères et de bijoux…
On pourrait continuer de charger le baudet: un procès de plus ou un procès de moins, cela ne changerait rien… Lors de son prochain procès, qui se tiendra sans doute par contumace et à huis clos (!), l’ex-président devra répondre à d’autres accusations : atteinte à la sûreté de l’Etat et homicides volontaires. Ses avocats commis d’office feront, tant bien que mal, leur boulot, tout en s’en excusant auprès des Tunisiens. Ils s’attarderont sur quelques détails de procédure, pour faire semblant, avant de donner des interviews aux médias.

La pièce est désormais bien rodée. Reste qu’il restera toujours, chez les Tunisiens, ce goût d’inachevé. Ou ce sentiment lancinant d’avoir été, encore une fois et comme toujours, roulés dans la farine. Car, tant que Ben Ali n’aura pas été jugé pour son vrai crime – celui qui résume tous les autres –, à savoir la haute trahison, et qu’il restera muré dans son silence, dans son lointain exil saoudien, inaccessible et presque hautain, sans que le gouvernement provisoire n’ait fait une réelle pression sur ses protecteurs pour le faire revenir au pays, ne fut-ce que pour le débriefer et mieux connaître les arcanes et les piliers de son système…

La réconciliation nationale à quel prix?
Tant que l’épouse de l’ex-président, Leïla Trabelsi, et la plupart des autres membres de son «gang», qui ont pillé le pays et mis en coupe réglées des pans entiers de son économie, échapperont à la justice et continueront de narguer la justice en menant la belle vie avec l’argent volé au peuple…, les Tunisiens auront du mal à tourner la page du passé et à accepter l’idée même d’une réconciliation nationale. Celle-ci ne saurait, en effet, être bâtie sur le déni de justice et sur l’impunité. Elle ne saurait être bâtie, non plus, sur l’omerta, les cachoteries et les manipulations, dont les ficelles sont souvent trop grosses...
Alors que certaines langues se délient pour présenter une version différente de ce qui s’est réellement passé le 14 janvier, le jour de la fuite du dictateur, ne pas entendre la version de ce dernier et ses aveux serait insupportable pour beaucoup de Tunisiens. Surtout que ses anciens sbires, qui s’étaient un moment cachés pour laisser passer la tempête, montent aujourd’hui au créneau, et se repositionnent partout, au sein des partis, des administrations, des médias.
Dans une telle situation, il n’y a pas pire qu’une parodie de justice pour aggraver les suspicions et entacher la crédibilité du processus de transition en cours.

Imed Bahri