Au-delà de leurs différences, des représentants de partis de divers courants  ont préféré se mettre autour d’une même table, parler au non de la patrie et faire barrage à ceux qui veulent faire marche arrière.
Par Zohra Abid

 


L’idée de la rencontre organisée samedi au Palais des congrès revient au Centre d’étude de l’Islam et de la démocratie (Csid) et à l’association El Jahedh. Autour des «conditions de réussite du processus électoral», le débat était houleux. Il y a tellement de choses à reprocher au gouvernement et à plusieurs partis qui ont tourné le dos aux valeurs de la révolution pour se préparer à partager le gâteau de l’après-Ben Ali.

Les partis se serrent la main
Ils étaient plusieurs à répondre à l’invitation. Pour des raisons de santé, Ahmed Brahim, secrétaire général du parti Ettajdid, s’est excusé. Hatem Chaâbouni, membre du secrétariat général, l’a remplacé à pied levé. «Il n’y a pas mille et une voies pour échapper à la dérive. Seul le climat de respect mutuel entre les différents partis pourrait garantir le bon déroulement des élections», a-t-il expliqué. Et d’ajouter que les prochaines élections seront une première dans le pays après 55 ans d’indépendance. «Nous n’avons pas le droit à la faute. Nous avons confiance en Kamel Jendoubi, président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie). Nous devons l’aider dans cette lourde mission et aider les citoyens à emprunter la meilleure voie vers la démocratie. Sans le pluralisme et la diversité, il nous serait impossible de réussir», a-t-il dit. Selon lui aussi, le gouvernement semble peu coopératif. «Quand il faut le critiquer et le mettre en garde, nous le faisons et les partis n’ont qu’à mettre la main dans la main pour réussir la transition ensemble, et non chacun de son côté».
Ali El Aridh, président du comité constitutif d’Ennahdha, a déclaré, de son côté, que les composantes de la société (le gouvernement de transition, les médias, la société civile ainsi que l’instance devant superviser les élections du 23 octobre en toute neutralité) sont tenues à aller par le même chemin. «Ces élections ne sont qu’une première étape. Nous allons avoir plus tard les élections régionales, municipales et nous devons composer ensemble pour réussir la transition vers la démocratie. Le dialogue reste la seule solution pour réussir cette étape délicate», a dit M. El Aridh. Pour rassurer les autres partis, qui redoutent les capacités de mobilisation du parti islamiste tunisien, il a dit que son parti tient à ce que les mosquées restent en dehors de tout discours politique. M. El Aridh avait, de son côté, quelque chose à reprocher aux médias. «Qu’ils soient neutres dans le traitement de l’information et évitent le sensationnel et tout discours de provocation», a-t-il demandé, estimant sans doute qu’Ennahdha fait l’objet d’un traitement particulier de la part de certains médias tunisiens.

Mise en garde et code de conduite
Du parti Ettakatol, Mouldi Riahi n’y est pas allé par quatre chemins en proposant l’élaboration immédiatement d’un code de conduite entre les partis. «D’un côté on garde espoir et de l’autre, le Tunisien vit encore sous la crainte. La transition vers la démocratie risque de ne pas passer comme on le souhaite. Il nous faut une charte commune avec un programme et des orientations que nous devons tous respecter à la lettre».
Selon Hamma Hammami, secrétaire général du Parti ouvrier communiste tunisien (Poct), qui n’a pas la langue dans la poche, les élections se dérouleront bien lorsque le gouvernement assumera sa responsabilité. M. Hammami a évoqué les dérapages des services de sécurité dans plusieurs régions, la flambée des prix des produits de première nécessité, la montée du régionalisme et des clivages tribaux. «Derrière les violences à Jebeniana, Menzel Bourguiba, Metlaoui, il y a des ex-Rcdistes. Et les agents de la sécurité n’interviennent jamais à temps. Comme par hasard, il n’y a jamais d’enquête et le Premier ministre fait la sourde oreille», s’est-il indigné. Et d’enchaîner que, ces derniers temps, il y a des signaux qui annoncent le retour des symboles de l’ancien régime, y compris dans le gouvernement. «Le citoyen a peur, car la torture revient et souvent pire que sous Ben Ali. Le gouvernement tarde à juger les corrompus et ceux qui ont tiré sur des manifestants pendant la révolution. L’appareil sécuritaire n’est pas assaini. Et ne parlons pas des magistrats et des médias! Nous n’attendons rien de positif de ce gouvernement. Aussi devons-nous continuer à brandir les banderoles de notre révolution», a martelé le leader du Poct.

Assainir d’abord et construire après
M. Hammami, avec sa verve habituelle, n’a pas laissé passer l’occasion sans dire un mot sur le financement des partis. «Qu’ils nous donnent la liste des noms des hommes d’affaires qui les financent. Ces partis disposent de milliards, d’où ont-ils eu tout cela? Le gouvernement ferme les yeux. Pourquoi? Nous devons interdire à des sociétés écrans de financer les partis. Nous devons refuser le financement étranger et l’argent sale. Nous devons être vigilants car il y a risque de soudoyer des électeurs», a-t-il ajouté. Et de mettre une autre puce à nos oreilles: «La falsification des élections est devenue chez nous une  seconde nature. Côté information, c’est encore pire. Les médias de Ben Ali continuent de sévir dans le pays. Ils sont en train de travailler pour le compte de quelques partis et on les laisse faire», s’est indigné M. Hammami.
Samir Ben Amor, du Congrès pour la république (Cpr), a mis tous les problèmes de la Tunisie actuelle sur le dos du gouvernement de Caïd Essebsi, qui, on le sait, a bon dos. «Il faut assainir les structures sécuritaires et judiciaires des restes de l’ancien régime. Il faut en finir avec l’insécurité. Le gouvernement doit se  dépêcher pour juger les symboles de l’ancien régime et non les libérer. Qu’on arrête de mener le peuple en bateau», a dit Me ben Amor avant de crier au loup: «Attention, un complot se trame !».
Le représentant de Afek Tounes, Faouzi Ben Aderrahmane, a appelé, de son côté, au rétablissement du climat de confiance, à l’instauration d’un dialogue constructif entre tous les partis. Mais pour pouvoir construire, «il faut juger les corrompus. Or, le climat général n’est pas rassurant».

Les pauvres plus pauvres et les riches plus riches
Kamel Gharbi, de l’association Awfia a dénoncé, de son côté, la violence, la haine, la diffamation devenue un constante de notre vie publique, et a pointé du doigt le gouvernement. «C’est lui le premier responsable», tranche-t-il. «Le citoyen boude la politique. 65% des Tunisiens ne connaissent pas les partis. La situation ne cesse de détériorer dans les régions. Le gouvernement parle de 80% du budget de l’Etat alloué aux régions marginalisés, de 105 milliards pour Kasserine et environs et de 100 milliards pour les régions voisines. Rien de cela n’a été fait. Les pauvres sont plus pauvres et les riches plus riches. Je mets les partis devant leur responsabilité», s’insurge le militant.
«Derrière les événements de violence à Metlaoui, Jebeniana, Sfax et ailleurs, des gens de l’ancien parti dissous et des destouriens du régime de Bourguiba, qui veulent se repositionner. Le sang de nos martyrs n’a pas encore séché. Le peuple veut que justice soit faite. Les partis doivent aller lui parler, l’écouter. Il est temps de le remettre en confiance. Sinon, tout risque d’échouer», a souligné un représentant de la ville de Regueb.
Moncef Yaâkoubi, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) a dit que tant que le déséquilibre régional, le chômage et la pauvreté persistent, la transition ne sera pas possible. «A-t-on oublié les revendications premières de la révolution?», a-t-il rappelé. «Vous voulez que les jeunes aillent aux urnes! Tant qu’ils sont marginalisés, ont faim et n’ont pas de travail, ils n’iront pas». Les partis connaissent maintenant d’où vient le mal, ils n’ont qu’à retrousser les manches et se mettre au travail. Ensemble et pas le choix, avant qu’il ne soit trop tard!