La fuite de Saïda Agrebi, l’une des figures emblématiques du régime de Ben Ali, enfonce un coin entre les ministères de la Justice et de l’Intérieur, qui se renvoient la responsabilité de la bourde. Ambiance…


En effet, l’ex-procureur de la république auprès du tribunal de première instance de Tunis, Mohamed Néjib Maouia, a tenu, mardi, une conférence de presse – une première dans l’histoire de la magistrature tunisienne – pour renvoyer à la sécurité de l’aéroport la responsabilité du manque de vigilance ayant permis à Saïda Agrebi de quitter le territoire tunisien. Celle-ci aurait dû, selon lui, informer le parquet de la présence de Mme Agrebi, le parquet, a-t-il dit, n’ayant pas de «yeux sur place». M. Maouia a rappelé, à ce propos, un premier épisode, survenu quelques semaines plus tôt, au cours duquel la même personne a été empêchée de quitter le pays.

Parquet submergé, police des frontières laxiste
Le ministère de l’Intérieur n’a pas tardé à réagir à ces allégations, se fendant d’un communiqué  affirmant que Mme Agrebi est partie, le 30 juillet, à 8h03, «alors que la Direction des frontières et des étrangers n’a reçu le document interdisant à cette personne de voyager que le 3 août à 14h13» (on appréciera, au passage, cette précision de métronome!).
Le ministère de l’Intérieur ajoute que «le document signifiant l’interdiction de voyager signé par le juge d’instruction et le premier substitut du procureur de la République était parvenu par fax du bureau de Mohamed Néjib Maouia, comme indiqué en bas du document précité.»
Dans un premier temps, les responsables du ministère de la Justice avaient justifié l’absence d’une mesure d’interdiction de voyager au sujet de Mme Agrebi par l’énorme charge de travail et les ressources humaines limitées du parquet.
Selon le ministère de l’Intérieur, la sécurité de l’aéroport de Tunis-Carthage avait, à plusieurs reprises, contacté le ministère public pour demander des éclaircissements sur certaines personnes parmi celles connues par leurs relations suspectes avec l’ancien régime et examiner la possibilité de les autoriser à quitter le territoire tunisien, en l’absence d’une décision de justice. La réponse, précise la même source, a toujours été «de ne plus vérifier à l’avenir la situation des personnes qui ne font pas l’objet de mesures d’interdiction de voyager». Le ministère public étant la seule autorité ayant la compétence d’émettre un document d’interdiction de voyager, la police des frontières aurait donc jugé n’avoir aucune raison d’empêcher Mme Agrebi de prendre la poudre d’escampette.

L’affront fait au peuple tunisien
Que faut-il retenir de tout cela? Que la responsabilité de la bourde n’incombe ni à l’une ni à l’autre partie. En fait, dans ce cas, et si l’on se tient au plaidoyer des deux parties – puisqu’on en est réduit à faire les juges –, on peut affirmer que le parquet et la police des frontières n’ont rien fait pour empêcher la fuite de Mme Agrebi. Autant dire qu’ils ont tout fait pour… la rendre possible.
Le parquet est d’autant plus responsable qu’il avait reçu, en date du 18 juillet, soit douze jours avant la fuite de l’intéressée, un rapport d’enquête du ministère des Finances détaillant les abus commis par Mme Agrebi dans la gestion des affaires de l’Association tunisiennes des mères (Atm). Pourquoi n’a-t-il pas fait le nécessaire, sachant – à l’instar de toute la Tunisie – que Mme Agrebi avait déjà fait une tentative de fuite. Un oubli qui s’apparente à un acte manqué, dirait un psy.
La Direction des frontières et des étrangers n’est pas, pour autant, lavée de tout soupçon. Car on peut difficilement admettre qu’elle a pu prendre deux décisions diamétralement opposées à quelques semaines d’intervalle, passant d’une prudence excessive à un laisser-aller inadmissible.
Résultat des courses : le pied de nez de Saïda Agrebi, ce sont 10 millions de Tunisiens, les vrais dindons de la farce, qui l’ont subi comme un affront.

Imed Bahri