La scène politique post Ben Ali grouille d’associations, de partis et de leaders de la dernière heure. De jeunes loups, se disant indépendants, veulent avoir voix au chapitre.
Depuis le lancement, par un groupe de bénévoles, du site web de Afkar Mostakella (littéralement: idées indépendantes), il y a une quinzaine de jours, plusieurs internautes se sont posé des questions sur ses promoteurs et ses ambitions. Ce n’est ni une association ni un parti. De quoi s’agit-il vraiment?
Pour mettre au clair ce site, porteur d’un projet politique citoyen, et qui fait déjà débat sur les réseaux sociaux, une conférence de presse a eu lieu, mercredi, au siège d’Afkar Mostakella (AM), au 6 rue Lucie Faure, à Tunis.
Des candidats pour la Constituante
Pour mettre la rencontre dans son cadre, Samia Cherif, l’une des quarante membres bénévoles d’AM, a passé en revue les objectifs de cette initiative. «Nous sommes des indépendants. Tous des volontaires. Et ouverts à toutes les propositions venant du peuple avec toutes ses composantes, sensibilités, et aucun n’est exclu», a-t-elle dit.
Selon son camarade Fares Mabrouk, l’idée n’est pas venue comme ça, mais après une mûre réflexion. Avant de rentrer au pays dans les années 1990 pour travailler dans le public puis dans le privé, l’homme a fait des études supérieures aux Etats-Unis. Aux dernières années de Ben Ali, il avait pris conscience que la situation dans le pays ne pouvait plus durer. «Surtout après les appels à Ben Ali à se présenter pour les élections de 2014», dit-il, et après en avoir discuté, à maintes reprises, avec Slim Amamou, dont il connaissait les convictions. «J’avais comme un sentiment de culpabilité. Avec Slim, on a mis Afkar en ligne, traitant de sujets divers, en tournant autour du pot, et sans prendre trop de risque», explique-t-il.
La force de la différence
«Un peu avant (puis après) la révolution, j’ai manifesté. On m’a arrêté, ensuite nommé secrétaire d’Etat. Me voilà enfin de nouveau indépendant. La plateforme d’AM a, elle aussi, beaucoup changé, devenant un espace de proposition», raconte M. Amamou, avant de donner des précisions sur cette initiative. «L’association des contributions des citoyens de divers horizons aboutira à des propositions de réformes, qui seront présentées à la future Assemblée constituante», ajoute-t-il.
Pour être membre d’AM, qui compte présenter candidats indépendants à l’élection de cette Assemblée, le 23 octobre, il faut d’abord s’engager à ne pas être soi-même candidat. Les quarante hommes et femmes membre de la plateforme sont en majorité des jeunes. Leur mission se limite au soutien et à la formation des futurs candidats. «Des experts viennent de nous consacrer quelques jours de formation politique. A notre tour, nous avons formé 120 personnes. AM aura des représentants parmi des indépendants à l’Assemblée. Tout est basé sur le bénévolat. Nous avons nos propres moyens pour faire la campagne. Ça ne va pas être avec de la pub ou de l’affichage urbain. Il y aura le site, facebook, twitter, le porte-à-porte et l’engouement de beaucoup de bénévoles», explique, pour sa part, la chanteuse Alia Sellami. Et d’ajouter: «Nous voulons que le peuple décide. C’est notre engagement. Le peuple est notre devise», martèle l’artiste. «J’ai souvent discuté de la question du pouvoir, à la fac avec mes étudiants. Mais loin de tout esprit de militantisme. N’empêche que la politique était en moi, enfouie, en veille, c’était l’autre partie de moi. Ne voulant pas être dépendante d’aucun parti, j’ai été séduite par les valeurs d’AM. Lorsque j’ai rencontré Houeïda Anouar, Slim Amamou et les autres, j’ai senti quelque chose qui brûle dans mon intérieur et j’ai adopté leurs valeurs qui sont aussi les miennes», raconte encore Alia Sellami.
Ne ratez pas le train de la démocratie
Comme par un sentiment de culpabilité, Nesrine Ben Slimane (24 ans et totalement bleue) dit que ses parents ne lui ont jamais permis de faire de la politique. «J’ai voulu participer à la révolution. Mes parents ont refusé. Ils avaient peur pour moi. Maintenant, comme tous les jeunes de mon âge, j’ai voulu me tourner vers l’avenir et participer à la démocratie tout en étant indépendante. J’ai trouvé dans AM des gens qui me ressemblent, qui refusent la hiérarchie des partis. Et, surtout, qui partent du principe que la Tunisie est plurielle. N’importe qui peut aller sur le site et proposer ses idées», ajoute-t-elle.
A travers l’expérience amère de ses parents militants, surveillés à plein temps par les sbires de Ben Ali, Talel Naceur a eu, depuis son jeune âge, une vie perturbée. Il a passé le plus clair de sa vie dans des pays étrangers. Et c’est peu dire qu’il est fier aujourd’hui de pouvoir aider son pays. «Je prends un exemple: on nous propose de faire une bretelle de quelques km pour rattacher un bled à la route nationale à Gafsa, c’est déjà une idée qui sera transmise à l’Assemblée constituante», explique le jeune à la barbe.
Pour Fares Mabrouk, le secret de cette plateforme, c’est la diversité. «Notre force est tirée de nos différences. Et c’est une force intelligente», insiste-t-il.
En effet, AM compte des jeunes et des moins jeunes, des diplômés et des chômeurs, des laïcs et des religieux, des hommes et des femmes de toutes les tendances. Tous veulent contrebalancer l’autre force, celle des partis, pour dire et rappeler toujours que la dernière décision doit revenir au peuple. «C’est lui qui doit décider de son sort. Et non les représentants des partis», conclut M. Amamou.