Les avocats d’Abderrahim Zouari dénoncent l’«acharnement médiatique» contre leur client, «victime», selon eux, d’une campagne orchestrée par un groupe d’avocats. Par Zohra Abid
Les avocats de M. Zouari, ancien ministre du Transport sous Ben Ali, libéré dans l’affaire du Rcd puis gardé en détention provisoire pour d’autres affaires en cours, ont décidé de prendre la parole. Dans une conférence de presse, vendredi, dans un hôtel des Berges du Lac, ils ont voulu, disent-ils, dissiper le flou entourant les affaires impliquant leur client. La Tunisie, qui vient de faire sa révolution, a besoin d’une magistrature transparente et impartiale, notamment dans la gestion des affaires impliquant les figures de l’ancien régime, ont-ils préconisé.
De Bab Benat à la caserne, tout a basculé
Première à parler, Me Fatma Cherif a rappelé que la campagne contre la personne de son client, au-delà de son statut, n’a pas à avoir lieu. «Nous nous sommes jusque-là abstenus de toute déclaration ni à la presse ni à la radio ni à la télé. Mais vu la poursuite de la campagne d’accusations, nous avons décidé de rencontrer les médias, le 4ème pouvoir et qui a son mot à dire». Et Me Cherif d’ajouter: «Il n’est pas possible que la justice ait ordonné la libération de Zouari puis de revenir aussitôt sur sa décision. Cette décision a été prise à Bab Benat [siège du Palais de Justice, Ndlr] et n’a pas été exécutée à la caserne [d’El Aouina, où est détenu le prévenu, Ndlr]», s’est-elle indignée.
Me Cherif affirme s’être abstenue jusque là de parler à la demande de son client, qui a souhaité ne pas faire entendre sa voix, par respect pour la révolution. Elle s’est cependant emportée contre le Groupe des 25 avocats, ensuite contre le procureur de la république, avant de critiquer violemment la magistrature. Ce corps n’a pas encore réussi à se détacher de ses anciennes pratiques, déplore-t-elle.
Me Chérif dit n’avoir pas compris la position du juge d’instruction ni celle du procureur de la république ni encore celle du groupe d’avocats qui, selon elle, n’a pas à s’immiscer dans des affaires au nom du peuple.
Fayçal Ben Jaafar, Fatma Cherif et Mohamed Mekacher.
Dans son «réquisitoire», Me Cherif n’a pas épargné la rue et ses emportements, qui auraient maintenu une forte pression sur la magistrature. Pour chercher les circonstances atténuantes à son client, l’avocate, comme dans une plaidoirie, a passé en revue le «combat» de M. Zouari qui était, selon elle, un juriste, un homme de droit avant de se métamorphoser en dirigeant politique.
Les positions «héroïques» de M. Zouari
«Il était avocat et il a toujours confiance en la justice. Il a grandi dans le milieu politique depuis l’ère de Bourguiba. A seulement 23 ans, il était déjà gouverneur. Ensuite maire de Dahmani, sa ville natale. Il avait des positions militantes quand il a défendu les intérêts de son pays et non ceux de Ben Ali, refusant, notamment, de siéger à la cour de sûreté de l’Etat qui a condamné à mort des islamistes au lendemain de l’affaire de Bab Souika», a-t-elle avancé avant d’admettre (tout de même !) que son client avait travaillé dans l’ancien régime. S’il était l’objet de quelques inculpations, il est tout de même en droit de se défendre, précise-t-elle. «Au final, c’est à la justice de dire son mot en toute transparence et sans intervention aucune».
Tout en précisant qu’elle reste confiante en la justice après la révolution, Me Cherif a conclu: «Nous avons tous souffert d’une magistrature non transparente et si on va renouer avec ces pratiques, ça va être très grave. Il n’y a pas de justice de transition. Par contre, il y a une justice qui se base sur des faits et des preuves tangibles».
Me Mohamed El Mekacher a axé son intervention sur les décisions, à ses yeux infondées, du procureur de la République. Car, après avoir prononcé la libération de M. Zouari, ce dernier n’a pas le droit d’ordonner au juge d’instruction d’intervenir pour le maintenir en détention, a-t-il expliqué. Selon lui, ces décisions contradictoires ne tiennent pas la route.
«Je défends M. Zouari parce qu’il est de son droit d’être défendu, comme je défends aussi d’autres symboles de l’ancien régime. Je défends également un confrère, et pas seulement un homme politique et un ami que j’ai connu depuis les années 1960», a expliqué El Mekacher. Il a ajouté: «Tout le monde a le droit d’être défendu et le tribunal a le devoir de mettre à la disposition de tout accusé des avocats commis d’office».
Me Mekacher n’a pas omis de rappeler aux médias, qui ont participé selon lui à la campagne de dénigrement contre son client, de faire preuve de responsabilité et de se montrer plus impartiaux dans ce qu’ils diffusent.
A charge et à décharge
Même son de cloche chez Me Fayçal Ben Jaâfar, qui s’est emporté lui aussi contre les médias, qui «doivent être plus transparents et ne pas se contenter de colporter des informations: X est arrêté, Y est impliqué et Z est libéré.» En opérant ainsi, les médias débordent, selon lui, les limites de leur mission et blessent les sentiments des gens. «Ils oublient que les personnes poursuivies en justice ont des familles qui souffrent», dit-il.
Après avoir réglé leurs comptes aux journalistes, Me Ben Jaâfar s’est tourné vers ses collègues du «Groupe des 25», dont la pression aurait poussé le procureur de la République à revenir sur sa décision de libérer Zouari, avant de s’attaquer à Yassine Brahim, successeur de M. Zouari à la tête du ministère du Transport et de l’Equipement. M. Ben Jaâfar a menacé l’actuel secrétaire général du parti Afek Tounes de porter plainte contre lui pour avoir poussé des fonctionnaires de son département à faire de faux témoignages en contrepartie d’avancement d’échelons.
Revenant au sujet de la rencontre, la libération et la réincarcération, le même jour, de M. Zouari, M. Mekacher a admis que ce dernier a une autre affaire qui traîne depuis avril, mais il a ajouté, incrédule: «Comme par hasard, au moment où on a ordonné sa libération, on s’est rappelé qu’il est poursuivi pour cette affaire quasiment en veille. On aurait dû le libérer puis le convoquer à nouveau dans d’autres affaires. Là, on est venu nous dire que M. Zouari risque de quitter le pays comme ce fut le cas de Saïda Agrebi. Pourtant, ils savent qu’il est interdit de voyager», s’indigne Me Mekacher. «L’interdiction de voyager est sur le bureau de procureur», insiste-t-il. Avant de conclure: «Laissons la justice travailler. Si M. Zouari doit être jugé, c’est la justice qui doit le juger. S’il mérite d’être libéré, qu’on le libère, comme cela a été le cas de Béchir Tekkari [ex-ministre de la Justice, Ndlr]».