Un imam franco-tunisien présente tous les défauts du monde aux yeux des extrémistes musulmans : il contracte un crédit pour acheter sa maison, ne porte pas la barbe, serre les mains des femmes et ses enfants font leurs études dans une école privée catholique. Pour aggraver son cas, il se dit favorable à une loi interdisant la burqa, le voile intégral pakistano-afghan, et appelle au dialogue entre juifs et musulmans. «Trop, c’est trop», estiment ses pourfendeurs qui le menacent de mort.
«Je suis pour l’interdiction par la loi de la burqa, qui n’a pas sa place en France, pays où les femmes votent depuis 1945. Mais elle [cette loi] doit être assortie d’un travail pédagogique, comme ce qui s’est fait pour le voile à l’école en 2004 [qui a été interdit dans les établissements scolaires]. Je n’imagine pas un policier retirer le voile d’une femme dans la rue ! Le voile intégral n’est pas une prescription religieuse, mais une prison pour les femmes, un outil de domination sexiste et d’embrigadement islamiste.»
Qui parle ainsi ? Un homme politique français ? Une militante féministe franco-maghrébine ? Non, c’est l’imam de la mosquée de Drancy, banlieue au nord de Paris, dans un entretien au quotidien ‘‘Le Parisien’’ (22 janvier). Ce Français de 36 ans originaire de Tunisie se présente comme «imam républicain» et se dit partisan d’un «islam de France modéré», respectueux de la religion du Prophète Mohamed et des lois (laïques) de la république française.
Pour s’être prononcé ainsi en faveur d’une loi que rejette une partie des musulmans de France, Hassen Chalghoumi – c’est son nom – est devenu la cible des groupuscules islamistes. Les salafistes de l’Hexagone le qualifient d’«ennemi de l’islam», d’«imam des juifs» voire d’«imam des sionistes», et n’hésitent pas à l’accuser d’apostasie. Ce qui, chez ces extrémistes, équivaut à une condamnation à mort.
L’homme, qui se déplace désormais entouré de gardes du corps, a-t-il «trop parlé» ou est-il «allé trop loin», comme l’affirment aujourd’hui ses partisans et même certains responsables politiques français, qui étaient jusque-là ses principaux soutiens?
Non, bien sûr. Cet imam sans barbe ni turban, pour atypique qu’il puisse paraître, a dit tout haut ce qu’un grand nombre de Musulmans pensent tout bas, en France et ailleurs. Reconnaissons-lui au moins le mérite (et le courage) d’assumer ses idées libérales face aux tenants d’un islam claquemuré dans ses dogmes, obscurantiste et en rupture avec la vie moderne.
Chalghoumi est un imam du 21e siècle. Débarqué en France en 1996, il a compris que l’islam et les musulmans ne sauraient s’intégrer – et fondre dans l’anonymat – des sociétés européennes sans s’acclimater et adopter les règles (laïques) de la vie collective dans ces sociétés. C’est fort de cette conviction qu’il a essayé, en juin 2009, de créer une instance théologique capable de prononcer des «fatwas conformes aux valeurs républicaines». Mais c’était sans compter avec l’opposition des responsables des institutions musulmanes de France, qui ont boycotté la Conférence organisée à cet effet.
Le jeune imam était peut-être jugé trop libéral. N’a-t-il pas confessé dans une interview au ‘‘Figaro’’, le 27 mars 2009: «Je n’ai jamais été un fondamentaliste. J’ai pris un crédit pour acheter ma maison (ce que réprouve l’islam), je ne porte pas la barbe, je serre les mains des femmes, et mes enfants sont dans le privé catholique» ?
Pour ne rien arranger, Chalghoumi s’est toujours présenté comme un partisan du rapprochement judéo-musulman et israélo-palestinien. N’a-t-il pas appelé «à la paix et au dialogue entre les communautés juive et musulmane», dans un entretien à ‘‘Marianne 2’’, le 24 janvier 2009. «Les musulmans et juifs de France peuvent donner l’exemple en montrant à la Palestine et à Israël qu’on peut vivre ensemble», a-t-il dit notamment, alors que les images de l’agression israélienne contre Gaza étaient encore vivaces dans les esprits des Musulmans.
Ce qui a aggravé son cas au regard de certains groupes islamistes qui ne voyaient pas d’un bon œil les accointances de l’imam avec les membres de la communauté juive française.
Ces derniers, qui n’hésitent pas à le qualifier d’«imam des juifs» voire d’«imam des sionistes, lui reprochent d’avoir déclaré, en mai 2006, lorsque, au camp de Drancy, antichambre de la déportation de nombreux juifs français: «À quelques mètres d’ici, des personnes innocentes ont souffert d’une injustice sans égale, avant d’être déportées à Auschwitz, juste car elles étaient juives. Nous repartirons de cette cérémonie le cœur lourd, mais le travail ne sera pas terminé pour autant : nous devons transmettre à notre entourage ce que nous avons retenu afin de revenir plus nombreux la prochaine fois. Je terminerai en affirmant avec certitude et amitié, qu’issus de la même famille, enfants d’Israël et d’Ismaël sont des cousins, et ce, encore aujourd’hui».
La reconnaissance publique de la singularité de la Shoah et l’appel au rapprochement entre les juifs et les musulmans sont-ils, du point de vue de l’islam, religion de paix et de tolérance s’il en est, des fautes impardonnables ? N’est-ce pas le rôle même d’un homme de religion, musulman en l’occurrence, d’appeler au dialogue entre les religions et à la paix entre les hommes ?
Haythem K.