Abdelfattah Amor va-t-il être obligé de livrer les noms des avocats inféodés à Ben Ali, dont il a trouvé une liste lors de la première perquisition au Palais de Carthage en février dernier? Par Zohra Abid
Joint par Kapitalis, le président de la Commission nationale d’établissement des faits sur les affaires de malversation et de corruption (Cnefamc) a affirmé qu’il n’admet d’autre interlocuteur que la justice. Or, celle-ci vient d’ordonner, par un jugement rendu vendredi, à la Commission Amor de remettre la fameuse liste à la section de Tunis de l’Ordre des avocats tunisiens (Oat), qui avait déposé une plainte à cet effet, soutenue par quelque 200 avocats.
La confidentialité en question
«Lorsqu’il y a des documents qui témoignent de corruption et de malversation, et qui servent la commission dans son travail, nous les gardons en confidentialité jusqu’à la fin des enquêtes. Ensuite, nous les transmettons à la justice. Et pas à qui veut se donner de l’importance et jouer au héros», nous a dit M. Amor, tout en insistant sur la confidentialité du travail de la commission qu’il préside.
«Mais, ils croient que c’est un jeu ou quoi? Et qu’est-ce qu’ils veulent au juste? Que j’exhibe des documents dans une ‘‘nasba’’ (étalage) au Souk Boumendil (marché parallèle à Tunis, Ndlr) ou quoi?», s’est interrogé ironiquement M. Amor. Il a ajouté: «Le pays traverse une crise de folie, mais nous devons rester sages».
Selon Me Naceur Laayouni, du Groupe des 25 avocats ayant intenté une quarantaine de procès contre les proches et les collaborateurs de Ben Ali, joint aussi par Kapitalis, il y a eu un jugement, le tribunal a tranché et personne ni aucune instance n’est au dessus de la loi.
«Nous savons comment ça se passe dans cette commission créée par Ben Ali avant sa fuite», explique M. Layouni. «Avant de faire quoi que ce soit, les membres rédigent un rapport et le soumettent au président de la République par intérim. Et la dernière décision revient à ce dernier. C’est-à-dire, c’est lui qui juge bon ou non de transmettre ces documents au parquet. Ces vérités doivent enfin être dévoilées au peuple».
Risque de radiation pour les avocats corrompus
L’enjeu de cette affaire est de taille. Les avocats inféodés à l’ancien régime se voyaient attribuer les portefeuilles des grandes entreprises nationales, entre autres prébendes, en contrepartie des services qu’ils rendaient à ce même régime.
L’Ordre des avocats tunisiens (Oat) veut mettre la main sur la liste de ces avocats, qui se sont enrichis illégalement sous l’ancien régime en commettant de graves entorses à la déontologie de la profession. Son intention est claire: il veut d’abord dénoncer ces avocats en rendant public leurs noms et prendre ensuite des mesures disciplinaires à leur encontre. Certains avocats vont jusqu’à exiger des sanctions extrêmes contre leurs confrères corrompus, y compris la radiation du barreau.