Mésentente cordiale ou entente à minima : les relations entre le mouvement Ennahdha et son co-fondateur Abdelfattah Mourou jouent sur l’ambiguïté. Par Nasreddine Montasser
La révolution du jasmin s’est distinguée dès son déclenchement par ses émanations atypiques. Mais certains faits paraissent encore plus invraisemblables que d’autres et méritent une attention particulière. Dans cet, article qui ne se veut ni critique envers Ennahdha, un parti «politique» à l’assise populaire conséquente, ni envers son géniteur Me Abdelfattah Mourou. Je me permets de jeter un éclairage différent sur la relation particulière qui lie les deux.
Le visage avenant de l'islamisme citadin
Tout d’abord, la relation entre M. Mourou et Ennahdha est faite de discours, de grands discours. M. Mourou ne rate pas une occasion pour défendre Ennahdha, de lui faire de la propagande, de justifier ses choix et de se transformer, parfois, en son porte-parole. Il la critique quelques fois, lui fait des reproches de temps en temps. Mais sans forcer le trait.
M. Mourou à fait des apparitions spectaculaires sur les médias à la fois mémorables et sujets de polémiques. Sur les télés, les radios, les journaux, il a tout fait, même chanter (et c’est tout en son honneur), pour présenter Ennahdha sous ses meilleurs angles.
Ennahdha, lui, ménage son co-fondateur et se prête à son jeu. Son président veut même lui attribuer le rôle de directeur de campagne, voir de son candidat à la présidence. Il le réconforte, lors de ses coups de blues et présente un profil bas lors de ses rares critiques à son encontre.
A côté des discours, nous trouvons cependant les faits. M. Mourou n’a aucune fonction au sein de la structure d’Ennahdha. Il a été ignoré et presque exclu du bureau politique du mouvement islamiste tunisien. Il n’en est même pas membre. Il n’a aucun rôle, même pas périphérique, dans son processus de prise de décision. J’ai visité les sites de ce parti et sur les photos publiées, il n’apparait presque pas et c’est ce qui m’a incité à vouloir comprendre la relation bizarre entre M. Mourou et Ennahdha.
Cette relation atypique m’a poussé à chercher la teneur du non-dit qui la caractérise et je suis sorti avec plusieurs interrogations.
D’abord, cette relation de type «je t’aime, moi non plus», je l’ai trouvée assez surprenante. C’est qu’on entend dire que M. Mourou, outré par le comportement de la nouvelle garde d’Ennahdha, qui l’a volontairement mis à l’écart, va créer son propre parti. Puis, on apprend qu’il va intégrer officiellement Ennahdha. Puis rien du tout. Et ce jeu dure depuis des mois, à un tel point qu’on croit que les deux parties jouent à qui perd gagne et la question est pourquoi?
Ensuite, il ne faut pas oublier que M. Mourou est le géniteur de ce qui fut le Mouvement de la tendance islamique (avec Rached Ghannouchi). Le Mti s’est transformé par la suite en le mouvement Ennahdha. Donc M. Mourou se considère à juste titre le géniteur, le père naturel, de se mouvement. Son éviction en douce laisse supposer l’existence de sérieuses divergences non exprimées publiquement. La question est encore pourquoi?
Une unité de façade
La réponse, je crois l’avoir trouvé dans le non-dit. C’est que réellement rien ne va plus entre l’homme et le mouvement qu’il a créé. Les deux parties essaient de sauver la face en présentant une unité de façade.
En effet, M. Mourou porte un nom très commun en Italie, en France et en Espagne sous différentes formes (Moro, Maurice, Mauro, Mauresca, etc.) qui réfère à ses origines andalouses. Le vocable Maure à pris sa signification actuelle après la Reconquista et le pogrom contre la population hispanique arabisée qui a été poussée à l’exil. Donc M. Mourou, le descendant des Andalous, le Tunisois, le citadin, celui qui est sortie du collège Sadiki, porte en lui une variante conciliante de l’islam, un islam de la ville.
Sa façon de voir l’islam est très aérée. Il croit, à juste titre, que la religion de la majorité des Tunisiens est un moyen de rassemblement, de prêche par la bonne parole. Un lieu d’«ijtihad» éclairé et une voie de guidance vers la lumière de dieu. Cette vision se conforme à deux exigences. D’une part, celle de la société qui a beaucoup évolué sur tous les plans et qui n’est pas prête à céder ses acquis civilisationnels même par la force; et d’autre part à son ambition personnelle de faire partie de la vie politique et de lui apporter des correctifs par le haut.
En plus, M. Mourou paraît ne pas accepter la dérive d’Ennahdha vers un islam politique radical sur la demande d’une base de plus en plus fondamentaliste. Cette vision semble se heurter de front à la vision du mouvement Ennahdha. Ce dernier semble avoir un autre programme pour notre pays. Un programme, confronté au refus de M. Mourou d’y adhérer, parait sournois voire dangereux.
Une divergence de fond
Sous cet angle on comprend mieux l’attitude des deux parties. Celle de Mourou qui se trouve dans la position d’un père qui, naturellement, est porté par l’amour qu’il voue à sa progéniture, la protège et la défend contre vents et marées. Qui se croit responsable de ses actes quels qu’ils soient. Qui se montre patient et espère son retour à la rectitude. Mais d’un autre côté, il ne peut pas supporter de voir son enfant dévier du droit chemin et devenir un être méconnaissable et dangereux. M. Mourou ne peut pas aussi renier son premier fils et enfanter un autre. Il sait que les deux vont certainement entrer en conflit.
L’attitude d’Ennahdha est celle de l’enfant qui a grandi, qui s’est émancipé de la tutelle de son père et qui pense avoir le droit de prendre le chemin qu’il veut, que cela plaise ou non à son géniteur.
Nous pouvons donc conclure que l’islam tolérant et conciliant prôné par M. Mourou n’est pas partagé par Ennahdha. Cet islam qualifié par la partie radicale de la base d’Ennahdha «d’islam mou» n’est pas conforme à son désir d’adopter un islam conquérant, déferlant et combatif. Mais les deux protagonistes ne peuvent pas aller jusqu’à la rupture. Celle-ci risque de leur être dommageable. Ainsi le non-dit dans la relation Ennahdha-Mourou nous renseigne sur l’ampleur et la signification de leur désaccord de fond, plus que les discours publiques folkloriques des deux parties.
Le blog ‘‘Alliance Démocratique’’.