Un attentat allait se produire dans une ambassade arabe à Tunis. Pourquoi le militaire libyen chargé de cette opération terroriste a-t-il décidé de se rendre à l’armée tunisienne? Par Zohra Abid


Pour rendre publique cette information, tenue secrète depuis vendredi dernier, le ministère de la Défense a dû attendre la chute de Mouammar Kadhafi. C’était aussi l’accord conclu entre le général Rachid Ammar, chef d’état major des armées, et l’officier libyen Abderrazak Rajhi, chargé de mener l’attentat.
Pour le colonel Rajhi, ce qui comptait le plus, c’était, dit-il, de quitter la Libye dès que l’occasion se présentait et de ne devoir se soumettre aux ordres de personne. Il avait très peur des proches de Kadhafi. Il avait peur pour sa vie et pour celle de sa famille.

C’est ce qu’il a raconté, lundi après midi, aux médias, au siège du ministère de la Défense, à Tunis, en présence du colonel Mokhtar Ben Nacer et de l’officier Fathi Ben Aânaya, qui eut la primeur de ses aveux.

Secret militaire

Le militaire libyen est entré en Tunisie le 30 juillet. Il était à bord de sa voiture avec des membres de sa famille: son épouse et sa fille âgée de 18 ans. «On lui a confié une mission: un attentat contre une ambassade arabe. Mais, dans sa tête, il était déjà décidé de ne pas l’exécuter. Dès son arrivée, il s’est dirigé vers Ennasr, quartier huppée de la capitale, où il s’est installé avec sa famille en attendant d’avoir l’opportunité d’informer les autorités militaires tunisiennes et garantir en même temps sa sécurité et celle de sa famille», a déclaré le colonel  Ben Nacer.

Depuis son arrivée en Tunisie, l’officier Rajhi se sentait mal dans sa peau et il avait la peur au ventre. Il descendait chaque soir au centre-ville de Tunis. Il rôdait autour de la Cathédrale, de l’ambassade de France et de la statue d’Ibn Khaldoun. Et c’est là où il a remarqué la présence quasi quotidienne d’un militaire. Il s’agit du colonel Fathi Ben Aânaya. Vendredi, un peu après 22 heures, il l’a abordé et lui a raconté toute l’histoire demandant protection. Le militaire tunisien a senti la sincérité de l’homme et a tout de suite informé le général Rachid Ammar. Qui a ordonné d’aller à Ennasr pour saisir la munition. Le rendez-vous a été fixé pour dimanche à 16 heures devant le kiosque à essence Shell.

Question- réponse
Interrogé comment a-t-il pu traverser les frontières tuniso-libyennes, Abderrazak Rajhi a dit que ce jour-là, il y a eu affluence. «Lorsqu’il s’agit des familles, les douaniers facilitent généralement le passage», a-t-il répondu. Vous n’avez subi aucun contrôle? A cette question, le Libyen a dit qu’il a emballé les 41 pièces d’explosifs (plus de 16 kilos de TNT), 6 détonateurs électriques, 4 téléphones portables dont 1 télécommandable, dans du papier aluminium, puis enrobé le tout dans du cambouis. «Là, rien n’apparaît dans les appareils de contrôle de la douane. Même les chiens ne sentent pas l’odeur de l’explosif», a précisé celui qui se dit spécialiste dans ce domaine.

Pourquoi avez-vous accepté un tel acte? Réponse de M. Rajhi: «Si je ne l’accepte pas, il y aurait un autre à ma place qui ferait et l’attentat aurait certainement eu lieu».

Comment allait-il procéder? En mettant l’explosif dans un sac poubelle, répond-t-il. «Pour la direction libyenne, c’était pour démontrer aux Occidentaux qu’il s’agit d’un acte terroriste, que la région est aux prises avec les fanatiques d’Al-Qaïda, que Kadhafi est le meilleur rempart contre ce groupe et que la guerre qu’il menait contre son peuple était légitime».

N’ayant pas mis à exécution la mission pour laquelle il a été dépêché en Tunisie, ses commanditaires n’ont-ils pas contacté M. Rajhi pour lui demander des explications? «Oh si. Le 10 août, on m’a contacté. Ma réponse était: ‘‘Oui je vais le faire dès que possible». Pas la peine de demander le nom de l’ambassade visée. M. Rajhi s’est catégoriquement abstenu de le divulguer. «Ce n’est pas encore le moment. A la prochaine rencontre, je vous dirai le nom de l’ambassade arabe et la personne qu’on voulait assassiner», a-t-il conclu. Kadhafi avait donc une personne précise à éliminer?

Autant le récit de M. Rajhi est rassurant, en ce qu’il démontre l’amitié et le respect que le peuple libyen voue à son voisin tunisien, mais il inspire aussi quelques inquiétudes. On pourrait, en effet, se demander si ce militaire est le seul envoyé en Tunisie pour commettre un attentat. Et s’il n’y a pas d’autres qui courent encore dans la nature.

Les Tunisiens, tous les Tunisiens, et pas seulement l’armée et les services de sécurité, doivent donc demeurer vigilants jusqu’à ce que la situation dans la région se stabilise.