La lenteur des procès de corruption dépend de la complexité des dossiers et du laxisme de la justice, estime Abdelfattah Amor, président de la Ciacm.
Par Zohra Abid


«Les rumeurs se sont multipliées. Mais rien ne déstabilisera la commission qui va continuer à travailler avec le même entrain, dans le secret absolu, loin de toute diffamation et sans porter atteinte aux individus. Après, c’est la justice qui tranchera». C’est ainsi qu’Abdelfattah Amor, président de la Commission d’investigation sur les affaires de corruption et de malversation (Ciacm), a mis, vendredi, la conférence de presse dans son cadre.
A voir les critiques sévères de toute part et les griefs qui ne cessent de gonfler contre la Ciacm, cette rencontre avec les médias s’est en fait imposée. Il faut bien s’expliquer, mettre les points sur les «i» et que tout le monde arrête de blâmer injustement l’équipe de M. Amor au point de lui coller des accusations et d’appeler à sa dissolution.

Un travail de titans
M. Amor a préféré passer en revue les difficultés auxquelles se heurtent les membres de la commission pour réunir les informations et distinguer le bon grain de l’ivraie. «Depuis qu’on a commencé à travailler, on a reçu des citoyens 9.242 dossiers, un nombre impressionnant. Ces dossiers ne se ressemblent guère. A chacun son objet, ses données. Il y a des plaignants qui demandent tout simplement un job. D’autres veulent un toit et d’autres cherchent à être aidés  matériellement, etc. Au final, nous ne sommes occupés que de 3.980 dossiers», a dit M. Amor. Et de poursuivre que lorsque le dossier concerne vraiment la corruption et la malversation, il y a toujours des éléments qui manquent et la tâche est vraiment ardue. «Nous sommes tenus d’aller écouter les plaignants, collecter les éléments, les vérifier et ceci demande énormément du temps. Surtout lorsque les affaires ont un lien avec la bourse ou les banques. Et si on ne trouve pas des preuves, on doit informer les plaignants avec des réponses administratives», a-t-il expliqué. La Ciacm, comme son nom l’indique, ne s’occupe que des dossiers précis. Elle s’assure des faits, prépare les documents nécessaires avant de tout soumettre  au procureur de la république.
«Jusqu’à ce jour, on a soumis 198 dossiers dont 50% concernent Ben Ali, sa famille, ses gendres. Parmi ces dossiers, on trouve du plus simple au plus compliqué. «A part l’affaire de l’Aéroport de Carthage, le point de départ de toutes les affaires, c’est la commission», précise le président de la Ciacm.
Quant au suivi, il relève de la compétence d’autres instances judiciaires. Le reste ne relève donc pas des compétences de la commission. C’est aux procureurs de la République d’examiner le dossier, de prononcer le verdict ou de le classer définitivement.

La commission de M. Amor n’est pas transparente?
«Notre commission travaille dans la transparence la plus absolue et notre tâche s’arrête à l’enquête», a-t-il expliqué. C’est à partir de là que les dossiers semblent stagner sur les bureaux de la justice. Après cet éclaircissement, M. Amor a ouvert une parenthèse pour expliquer l’incident d’il y a deux jours à la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. «Le rendez-vous a été fixé avec M. Ben Achour depuis deux semaines. J’ai été frappé déjà par l’absentéisme des membres. Il y avait tout au plus 20 à 25% des membres. Le temps qui nous a été réservé (de 10 à 12 heures) était très limité pour pouvoir répondre à une vingtaine de questions et s’expliquer sur la responsabilité de notre travail bénévole et surtout sur la transparence de notre commission», a-t-il rappelé. M. Amor semble très déçu des accusations émanant de quelques membres de la Haute instance dont quelques membres ont appelé à la démission de la Ciacm. «Lorsque je leur ai dit, regardez vous les uns et les autres et ne cachons pas le soleil par un tamis, la corruption s’est infiltrée dans toutes les institutions du pays, touchant toutes les classes sociales, là, je n’ai vraiment visé personne. Mais j’ai voulu dire que le phénomène de la corruption est devenu une culture générale chez les Tunisiens. La réaction de quelques uns m’a vraiment étonné. Pourquoi?», s’est-il interrogé.

L’ancien système comme une tumeur à éradiquer
samiremadiLes membres de la Haute instance ont le droit de critiquer, mais la commission est autonome et n’accepte pas les interventions d’où elles viennent, a souligné M. Amor. «Nous ne dépendons de personne, a-t-il dit, ni du président ni du Premier ministre, mais nous travaillons dans la transparence, pour le peuple et rien que le peuple. N’empêche que je suis d’accord avec vous. Les dossiers n’ont pas été rapidement examinés par les autorités judiciaires. Il y a eu vraiment un laxisme. Ce n’est que depuis quelques jours que ça a commencé à bouger... et je comprends parfaitement la grogne du peuple»
Outre la magistrature, deux autres institutions ont été pointées du doigt car elles ne veulent pas faire leur révolution et continuent de tirer le pays vers le bas: le ministère de l’Intérieur et les médias. «Il faut épurer le corps de la magistrature. Sinon, nous n’avons rien fait», a lancé Sami Remadi, président de l’Association tunisienne pour la transparence financière (Att) qui a beaucoup à dire sur les trois secteurs qui font comme si Ben Ali est encore là. «Ils ne veulent pas changer parce qu’il y a notamment conflits d’intérêts. C’est comme un cancer, il faut éradiquer la tumeur pour que le corps puisse enfin guérir. Sinon, tout sera foutu», a dit Dr Remadi.