Française mariée à un Grec vivant en Tunisie, l’auteure avertit les partis modernistes: l’argument selon lequel, avec les islamistes, l’islam sera en danger, passe pour ce qu’il est: ridicule!
Par Elvire Axos


Messieurs et Mesdames les leaders et membres des partis modernistes de Tunisie,
Je ne suis pas citoyenne tunisienne. Mais je vis en Tunisie, je suis française, mariée à un Grec et en tant que «citoyenne du monde» pourrait-on dire, enthousiasmée par la révolution tunisienne,  je me permets, en toute humilité, de vous adresser cette lettre.  
Celle-ci n’est pas en soi très originale et pourrait tenir dans cette question: «Ne faudrait-il pas «communiquer» sur votre identité musulmane?».
Pour vous dire le fond de ma pensée, je ne suis pas obnubilée ni angoissée par l’idée d’une vague islamiste en Tunisie. Mais il faut malgré tout envisager le risque et faire ce qui peut raisonnablement être fait. Cela évitera les regrets inutiles le cas échéant.

Les valeurs refuges
Nombreux sont ceux qui signalent le danger du manque de lisibilité des partis. Mais seuls les partis modernistes manquent de lisibilité! La majorité «silencieuse», la fameuse, celle qui va voter, dans son désarroi ou simplement son incertitude risque, on le sait bien, ou on en s’en doute, ou on le craint, de se tourner vers une valeur sûre, une «valeur refuge» comme on dit fort justement à la bourse. Ce n’est pas ce que l’on souhaite vraiment mais lorsqu’on a des craintes…
C’est donc au regard de l’identité musulmane et surtout par rapport à la réalité sociologique qu’il faut se situer. Si de nombreux électeurs sont dans le «flou» quant au programme à privilégier pour que la révolution réussisse et que la Tunisie se redresse, beaucoup également n’en sont pas encore là, ou ont une préoccupation plus «sourde», une sorte de «matrice originelle» du doute: la peur que l’on touche à l’identité musulmane de la Tunisie.
Certes les mesures économiques, les mesures fiscales, les mesures pour l’emploi, pour l’éducation, pour l’industrie sont importantes pour se démarquer. Mais elles ne servent qu’à démarquer les modernistes entre eux et pas par rapport aux autres tendances. Seul l’électeur instruit ou qui en a le temps, seul l’électeur, qui au fond a déjà fait son choix (un parti moderniste, mais lequel?) entrera dans ces détails. Quel est le pourcentage de ces électeurs dans la société tunisienne? Et dans les électeurs inscrits? Mystère…
Pourquoi laisser croire que certains partis protégeraient l’identité musulmane de la Tunisie et d’autres non? Pourquoi laisser croire que certains partis vont respecter les valeurs de l’islam (sous-entendu les autres non)? Pourquoi laisser croire que certains partis sont composés de «vrais musulmans» et pas les autres? Pourquoi laisser croire que les modernistes représentent les valeurs étrangères, européennes en particulier?
Mais, mais, mais…, et c’est bien là la grande difficulté de cette question, exposer son identité musulmane n’est pas sans dangers. Chacun s’en doute se serait faire la part belle aux islamistes au contraire que d’en faire le centre des préoccupations. Faut-il ouvrir la boîte de pandore?

Problème de «communication» et  «d’image»
Il faudrait arriver en effet à concilier ce qui semble inconciliable:
• rassurer ces électeurs, ceux qui n’hésitent pas entre un parti moderniste et un autre, ou pas encore, mais ceux qui croient à une opposition entre islam et modernité; prendre les islamistes de court;
• sans pour autant faire de l’islam un débat public qui parasiterait le débat.
Nous sommes peut-être en plein dans un problème de «communication» et «d’image». Loin d’être une spécialiste dans ce domaine, je me limite donc à une question. Comment «communiquer» sur son «islamité» sans faire de l’islam un débat? Justement pour ne pas faire de l’islam un débat.
Mesdames et Messieurs les leaders modernistes, à vous de voir. Réfléchissez avec vos équipes à la bonne méthode, faites appel aux «communicants» et aux spécialistes en marketing de bonne volonté pour résoudre cette question. Mais ne tardez-pas. Nous sortons de Ramadan, la rentrée des classes se profile, les choses sérieuses vont commencer. Ensuite, une fois ce non-dit résolu, qui risque de miner la campagne, il restera du temps pour vous distinguer entre vous et parler finalement des vrais problèmes.
Il ne s’agit pas d’exclure les islamistes du jeu démocratique. Mais qu’ils occupent une place réellement représentative à l’assemblée de la société tunisienne et non pas un poids électoral devant plus à l’incertitude, à la peur, aux sophismes, à l’incompréhension, à l’ignorance. L’important est que les choses soient claires même pour le citoyen le moins averti.
L’important est que l’argument, «Avec eux l’Islam sera en danger», passe pour ce qu’il est: ridicule.