L’idée d’organiser un référendum populaire parallèlement aux élections de l’Assemblée nationale constituante, le 23 octobre, est loin de faire l’unanimité.
Dans un communiqué rendu public lundi, les parties politiques initiatrices de cette idée plaident en faveur de la limitation à six mois de la durée de la mission de la Constituante. Après l’élaboration de la Constitution, celle-ci se transformera en une instance de contrôle du gouvernement provisoire et préparera les élections présidentielle et législatives, dans un délai ne dépassant pas les six mois.
Vite la présidentielle !
Les promoteurs de l’initiative appellent, également, à «poursuivre le recours à l’organisation provisoire des pouvoirs publics, en prévision de l’élection d’un nouveau président, l’objectif étant d’éviter la dégradation de la situation économique et sécuritaire du pays qui ne supporte plus d’autres épreuves expérimentales».
Le militant politique indépendant et directeur du Centre Al-Kawakibi pour les transitions démocratiques Mohsen Marzouk a précisé que cet appel émane d’environ cinquante partis politiques : le Parti socialiste de gauche (Psg) et le Parti démocratique progressiste (Pdp), ainsi que les 47 ‘‘petits’’ partis membres l’Alliance républicaine. Il a été lancé, également, par plusieurs organisations nationales et des centaines de personnalités dont cheikh Abdelfattah Mourou et le juriste Sadok Belaïd.
M. Marzouk a indiqué à l’agence Tap que cet appel traduit l’unanimité autour du fait que le peuple tunisien est le seul arbitre habilité à trancher les dissensions entre les élites politiques autour de la durée de la mission de l’Assemblée constituante et des missions qui lui seront dévolues.
Il a, également, démenti que cette initiative soit orientée contre une quelconque partie, expliquant que toutes les parties soutenant cet appel vont se réunir, dimanche 11 septembre courant, au Centre culturel et sportif d'El Menzah 6, pour lancer officiellement cette initiative. Il a, aussi, assuré qu’aucun établissement de presse n’est derrière cet appel et que sa médiatisation n’est autre qu’une initiative de la société civile.
Plus pressé que moi, tu meurs !
M. Marzouk voulait ainsi dissiper la confusion induite par la chaîne de télévision privée Hannibal, qui, rompant avec son devoir déontologique de neutralité, s’est mise à défendre tapageusement ce projet. Son patron, Larbi Nasra, qui multiplie les spots d’autopromotion politique, serait-il intéressé par la limitation du mandat de la Constituante parce qu’il a hâte de présenter sa candidature à l’élection présidentielle ? Honni soit qui mal y pense…
Maya Jéribi et Mouldi El-Fahem, respectivement, secrétaire générale et membre du Bureau politique du Pdp, ont appuyé l’idée d’organiser un référendum sur la durée du mandat et les prérogatives de la Constituante parallèlement aux élections de cette Assemblée. Ils ont, également, réaffirmé leur attachement à la date d’organisation des élections afin «d’éviter les dérapages consécutifs à la faiblesse de l’autorité provisoire, illustrés notamment par la recrudescence de la violence dans plusieurs régions du pays».
Qui veut confisquer la Constituante?
Pour Noureddine Bhiri, porte-parole officiel du Mouvement Ennahdha, le parti s’attache aux mesures et dispositions adoptées par l’ensemble des composantes de la société tunisienne, à la suite de la fuite du président déchu, précisant que le décret-loi du 23 mars 2011 relatif à l’organisation provisoire des pouvoirs publics prévoit la suspension de la Constitution et la dissolution des deux chambres parlementaires, «mais ne confère nullement le pouvoir au président par intérim de convoquer un referendum que ce soit avant, pendant ou après les élections de la Constituante». Selon M. Bhiri, «cette initiative constitue un coup de force contre le décret-loi précité et le consensus national».
Quant à Hamma Hammami, président du Parti ouvrier communiste tunisien (Poct), il a estimé que «cet appel en faveur de l’organisation d’un référendum parallèlement aux élections de la constituante est déraisonnable, dans la mesure où il dissimule une tentative de confisquer la Constituante».
«La Constituante qui sera démocratiquement élue est la seule souveraine dans la nomination du pouvoir exécutif», a-t-il relevé, soulignant que «si un référendum est nécessaire, il ne peut être organisé qu’en fonction du projet de constitution élaboré par la seule Assemblée nationale constituante».
Le secrétaire général de l’Union populaire républicaine (Upr), Lotfi Mraihi, a qualifié cet appel de «naïf», considérant la tenue d’un référendum pour fixer la durée du mandat de la Constituante d’ «illogique» étant donné que cette dernière «ne saurait être soumise à aucun contrôle». Délimiter le mandat de la Constituante est contraire à la jurisprudence constitutionnelle, a-t-il affirmé, se demandant «quel serait l’issue si la Constituante ne respectait pas les délais fixés par référendum?».
Le porte-parole du Mouvement des patriotes démocrates (Mpd), Chokri Belaïd estime que cet appel «est une nouvelle tentative d’instrumentaliser la révolution», précisant qu’il émane de «parties appartenant au Rcd dissous et aux vestiges de l’ancien régime». Il considère que les auteurs de cette initiative n’ont pas compris la mission et les prérogatives de la Constituante, expliquant qu’il «n’existera aucun pouvoir au-dessus de cette autorité après le 23 octobre». La Constituante, a-t-il dit, sera l’unique source de légitimité dans le pays.
La poire en deux
Le Mouvement Ettajdid adopte une position nuancée. Pour le Premier secrétaire Ahmed Brahim «le défi majeur, pour le pays, est de parvenir à une solution politique consensuelle et d’instaurer le dialogue entre tous les acteurs agissants». Le référendum, a-t-il indiqué, ne tranchera pas forcément sur la question polémique des attributions et de la durée du mandat de la Constituante. «Même si Ettajdid est favorable à un mandat ne dépassant pas une année, il considère que l’enjeu majeur, aujourd'hui, est de ne pas engager le pays dans une nouvelle crise politique dont les conséquences pourraient être plus sévères», a-t-il en outre souligné. M. Brahim a, en conclusion, précisé que son mouvement ne rejette pas le principe d’organiser un référendum sur les prérogatives et la durée du mandat de l’Assemblée Constituante le 23 octobre.
Pour sa part, le porte-parole officiel de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, Samir Rabhi, a démenti que l’Instance ait reçu une demande officielle dans ce sens. Quant au président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), Kamel Jendoubi, il affirme que son instance n’est pas concernée par l’organisation d’un référendum et que sa mission consiste à l’élection de la Constituante.
I. B. (avec Tap).