«Dans toutes les élections précédentes, ils ont truqué les résultats, pourquoi les élections seraient-elles cette fois-ci différentes ?» Par John Thorne, à Sidi Hassine
Mohamed, qui parlait ainsi, était enfoncé dans un fauteuil dans sa parfumerie de Sidi Hassine, une banlieue démunie de Tunis.
Dans le couloir, il y avait Halima Mzoughi, 19 ans, une activiste du parti islamiste Ennahdha, qui essayait de le convaincre d’aller voter. «Inchallah les élections seront transparentes et d’ailleurs tous les partis participeront à l’élaboration d’une nouvelle constitution», a-t-elle dit. «Pourquoi avons-nous fait une révolution, si ce n’était pas pour changer ?»
Voter pour enterrer la dictature
L’appel de Mlle Mzoughi à Mohamed, qui n’a pas donné son nom de famille, reflète un défi plus important pour les partis politiques incitant les Tunisiens à voter pour eux : les convaincre d’aller voter.
Jusqu’à maintenant, 3.2 millions des 7.5 millions électeurs se sont inscrits pour les élections du 23 octobre, selon l’Instance supérieure indépendante des Elections (Isie).
Il y a trois semaines, la Tunisie a prolongé l’enregistrement du 2 au 14 août pour donner aux électeurs plus de temps.
Les élections vont créer une Assemblée nationale pour réécrire la Constitution tunisienne, alors que le processus électoral donnera une leçon aux autres pays espérant enterrer la dictature par le scrutin.
Une majorité de 92% des Tunisiens veulent voter, selon un sondage réalisé en mars/avril par une Ong américaine. Mais beaucoup d’entre eux sont confus par l’enregistrement, non familiers avec les partis et déçus par les politiques, pensent des analystes et des activistes politiques.
«Les responsables des élections comptent essentiellement sur Facebook pour communiquer avec l’électorat, laissant un grand nombre non informé que l’enregistrement est ouvert», écrit Duncan Pickard, un diplômé en politique publique de l’Université de Harvard, dans l’‘‘Arab Reform Bulletin’’.
Alors que ceux qui ne se sont pas inscrits peuvent toujours utiliser leurs cartes d’identité pour voter, «les données que contiennent ces cartes ne sont pas toujours fiables», dit Larbi Chouikha, membre de l’Isie. «La meilleure solution est de créer une nouvelle base de données qui soit propre et fiable».
L’Instance des élections a déployé des efforts pour encourager les électeurs tout au cours des quinze derniers jours [avant la clôture des inscriptions, Ndlr], avec des spots TV et radio les appelant à s’inscrire.
Cependant, beaucoup de Tunisiens veulent encore des détails sur les programmes des partis avant de voter, comme l’a indiqué une étude réalisée au mois de mai par le National Democratic Institute, une Ong américaine.
Ça constitue un défi spécial pour Ennahdha, supposée gagner les élections malgré la controverse que ce mouvement crée. Sa mise sur la religion touche les sentiments de beaucoup de Tunisiens mais en inquiète d’autres qui craignent que le parti ne véhicule un agenda radical.
L’importante ascension d’Ennahdha
Les dirigeants d’Ennahdha rejettent cette accusation et réitèrent leur désir de travailler avec d’autres partis pour créer une nouvelle constitution.
Opprimée durant des décennies par les présidents tunisiens Habib Bourguiba et Zine el-Abidine Ben Ali, Ennahdha dit qu’il soutient la démocratie et les droits de la femme.
Le parti a connu une ascension importante depuis que le renversement de Ben Ali en janvier lui a permis de travailler librement, avec des bureaux régionaux, des manifestations publiques et des campagnes populaires pour remporter les élections.
Un samedi matin, cette campagne a emmené Mlle Mzoughi et plus d’une douzaine de ses collègues dans les rue de Sidi Hassine, où ils habitent.
Portant des vestes blanches avec le logo d’Ennahdha, le groupe a envahi la rue principale, incitant les commerçants et les passants à aller voter.
Ils sont entrés dans le marché, distribuant des brochures chez les vendeurs de fruits, puis sont revenus à la rue où Mzoughi s’attaquait au scepticisme de Mohamed, le propriétaire de la parfumerie.
«Plusieurs personnes, à qui je m’adresse, ont peur que les élections ne soient pas propres, et on ne peut pas leur reprocher ça», a-t-elle dit après sa rencontre avec Mohamed. «Pendant cinquante années, ça se passait ainsi».
Sidi Hassine a souffert sous Ben Ali, avec des années de négligence facile à voir sur les bâtiments délabrés et des services publics rudimentaires laissant des tas d’ordure dans les rues.
Mlle Mzoughi, une étudiante en Tic, soutient Ennahdha parce que, selon elle, «ils parlent de la religion plus que les autres partis». «Avec eux, dit-elle, je suis à l’aise avec mon hijab».
Les dirigeants d’Ennahdha présentent leur parti comme dépositaire du legs arabo-musulman de la Tunisie, s’opposant ainsi aux partis laïcs.
«Les élections sont un moment crucial de la transition démocratique en Tunisie : une compétition entre l’islamisme et le centrisme démocratique», pense Wissem Sghaier, 28 ans, responsable de la section des jeunes du Parti démocratique progressiste (Pdp) qui apparait comme le concurrent le plus en vue d’Ennahdha.
Les volontaires du Pdp font campagne
Comme Ennahdha, le Pdp a mobilisé des milliers de jeunes volontaires pour inciter les Tunisiens à voter et pour faire connaitre le parti.
«Il y a plus de 100 partis aujourd’hui», dit M. Sghaier, qui assure la coordination du démarchage quotidien. «Le parti dont le programme est connu va gagner sur le terrain».
M. Sghaier fait partie d’une machine de campagne construite par Mahmoud Mzoughi, un général de l’armée à la retraite, qui veille sur les activités destinées à la base du Pdp.
Manquant d’expérience en politique jusqu’à ce qu’il ait rejoint le Pdp cette année, M. Mzoughi a creusé Internet pour des idées. «J’ai tapé ‘Obama door-to-door’ dans Google et j’ai simplement commencé à lire».
Le Pdp a jusqu’à maintenant recruté quelques 8.200 volontaires, dont un peu plus de 2.000 ont été formés pour les campagnes. «Il y aura d’autres élections après celles-ci et nous y prendront part», a dit Mzoughi.
Pour M. Pickard, les élections d’octobre mesureront le poids de la révolution.
«Nous savons que les révolutions renversent les dictatures, a-t-il écrit. Les élections en Tunisie vont tester si elles sont capables de bâtir des démocraties».
Traduit de l’Anglais par Mourad Teyeb
Source: ‘‘The National’’.