Pour éviter tout dérapage, l’Isie a décidé d’interdire la publicité politique à partir du 12 septembre. Mais elle a fermé les yeux sur les sondages politiques. Or, selon certaines personnes du métier, il y a danger ! Par Zohra Abid


A vrai dire, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) n’a pas totalement fermé les yeux. Nos chers sondeurs ont le champ libre de travailler à leur aise jusqu’au 1er octobre prochain (c’est décidé et paru dans le Journal officiel). Mais que se passera-t-il d’ici cette date ? Côté sondeurs, ils vont multiplier leurs communiqués. Côté citoyens, il y a deux catégories : ceux qui sont déjà décidés et, convaincus de leur choix, savent déjà pour quel parti ils vont voter. Et pour ceux qui ne savent pas encore comment se positionner, il y a évidemment problème. Car, le risque d’influencer les opinions par les sondages est grand. Que dire lorsque la majorité des Tunisiens est encore indécise, ne connaissant même pas les noms des 100 partis en lice!

Un baromètre peu crédible

La question a été posée à plusieurs partis. La plupart sont farouchement opposés à la publication des sondages, ne faisant pas confiance à ceux qui les réalisent. Selon Me Mohamed Abbou, membre du bureau exécutif du Congrès pour la république (Cpr), les sondages dans un pays en transition, ne peuvent jamais être crédibles. «Pour maintes raisons, on aurait dû interdire dès le départ les sondages, car nous manquons de professionnels. Puis, ces instituts de sondage qui opèrent en Tunisie, ont tous travaillé sous l’ancien régime et ont déjà acquis des réflexes. Ils sont souvent orientés, soit par le pouvoir politique soit par le pouvoir de l’argent. Je peux affirmer qu’ils n’ont aucune crédibilité et ne peuvent qu’induire en erreur l’électeur et l’orienter», a-t-il expliqué. Et d’ajouter : «Rappelons-nous en 2006, une boîte de sondage (et pas la peine de la nommer) a donné à Hannibal TV la dernière place en termes d’audience. Une semaine après, le patron de cette chaîne est allé voir l’ancien président Ben Ali pour s’en plaindre ; et comme par hasard, peu de temps après, cette même chaîne s’est vue attribuer la première place dans le classement des audiences effectué par la même boite de sondages», a rappelé M. Abbou.

 


Hichem Guerfali, patron de 3C Etudes

«Dans les démocraties et les pays de liberté, les sondages d’opinion se font toujours, et c’est donc légitime. Mais dans notre pays, nous sommes encore dans une période fragile. Ces sondages ont sûrement de l’influence et de l’impact et nous ne les approuvons pas, car leurs résultats sont souvent orientés par quelques commanditaires», explique, pour sa part, Zied Daoulatli, membre du bureau exécutif du mouvement Ennahdha. Qui ajoute : «Nous comptons seulement sur la conscience du peuple. N’empêche que nous respectons à la lettre les lois décrétées car c’est le seul chemin qui nous conduira vers la démocratie».

Faux et usage de faux

Hichem Guerfali, patron de 3C Etudes, qui a préféré ne pas faire de sondages d’opinion, est lui aussi, très sceptique. «Le niveau des pratiques est faible et peu fiable. On a démontré que les sondages effectués avant la révolution et qui continuent actuellement sont tous faux. Il n’y a eu aucun changement. Il y a une faille chez une bonne partie de la classe intellectuelle tunisienne. Quand on lui prouve clairement les choses telles qu’elles sont, et même si on lui démontre que c’est faux, ils ne réagissent pas, malgré la gravité», s’indigne-t-il.

Selon M. Guerfali, le métier des sondeurs en Tunisie ne repose pas forcément sur des statistiques vérifiées. «La plupart, à l’exception d’un ou deux cas, font du faux en prétendant qu’ils se réfèrent à des données de l’Institut national de la statistique (Ins) en ce qui concerne les catégories socioprofessionnelle, alors que cette institution n’a rien à voir avec ces données. Il est très aisé de vérifier ce fait, et il est incroyable que personne n’ait osé à le vérifier, alors que j’appelle à cela depuis des mois. Il suffit de poser la question à celui dont on prétend être à l’origine, l’Ins. Ceux qui se sont rendus coupables de tels agissements devraient au moins être interdits de faire des sondages. Théoriquement, il faudrait aller plus loin en leur demandant des comptes». Quand on lui demande de confirmer des propos récemment entendus chez des responsables de partis et qui disent qu’il y a parmi ces personnes qui continuent leurs pratiques, des "mounachidin" (ceux qui ont fait appel à Ben Ali pour se présenter pour les élections de 2014, Ndlr)», M. Guerfali confirme et ajoute: «Oui, cela est vrai. Il y en a qui l’ont fait avec beaucoup de zèle. Cela étant, ce n’est pas pour cette raison que les sondages ne sont pas valables, et ce n’ai pas à moi de jauger ni de juger de ces aspects. Moi, je préfère rester sur des aspects techniques vérifiables et indiscutables et expliquer clairement pourquoi tous ces sondages que nous voyons sont fondamentalement faux, et à ce titre dangereux pour démocratie tunisienne naissante».

Selon ce sondeur qui a assuré les sondages pendant les élections de 2007 entre Sarkozy et Royal, le sondage est un vrai métier qui a ses règles et ses références.

«Sans entrer dans le technique, le métier demande un vrai savoir-faire. Comment poser les questions, ne pas influencer, revenir trois à quatre fois à la même personne, quelles sont les règles codifiées, un tas de codes du métier», explique encore notre sondeur. Quelles sont les raisons qui l’ont poussé à s’abstenir de publier les résultats d’opinion qu’il réalise ? «L’amour pour mon pays me l’interdit et le respect pour mon métier», répond M. Guerfali.

 

En l’absence d’un cadre légal, il y a de la pseudo-vérité

Selon le patron de 3C Etudes, les sondages sont encore plus dangereux que la publicité politique. Car, selon lui, ils annoncent une notoriété portée par une pseudo-vérité. Une publicité, on la regarde, soit on y adhère soit on la rejette.

Les résultats des sondages, quant à eux, marquent les esprits et influencent. «Il faut absolument arrêter ces sondages d’opinion en Tunisie qui ne traduisent nullement une réelle représentativité des forces politiques.

Dans les pays de démocratie, il y a un cadre légal régissant le secteur et une autorité qui contrôle et vérifie les sondages à chacune de leur parution. Cette autorité a le droit de sanctionner en cas de manquement», indique M. Guerfali. Il cite l’exemple de la France où la commission chargée du contrôle travaille dans un cadre légal et avec des règles précises. Composée de 11 juristes, elle statue sur le cas et prononce un jugement définitif et sans appel. «La moindre faille, la moindre faute coûte au sondeur 75.000 euros», dit-il.

En Tunisie, aucun cadre légal ne régit les sondages politiques. Aucun contrôle. Quant à la sincérité, il faut vraiment la démontrer en ces temps confus.