Lors de son meeting, samedi à l’Ariana, Abdelwahab El Hani, leader du parti Al Majd, n’a pas contenu sa colère : «l’atmosphère politique est malsaine et le Tunisien n’est pas à vendre», lance-t-il. Par Zohra Abid
Selon le leader d’Al Majd, les choses ne tournent pas actuellement dans le bon sens et le Tunisien qui a fait sa révolution et a pu destituer pacifiquement un dictateur mérite beaucoup mieux. Il a appelé à la vigilance pour faire barrage aux partis qui veulent, coûte-que-coûte et par n’importe quel moyen, s’emparer du pouvoir en essayant même de soudoyer des citoyens. «Le Tunisien n’est pas à vendre», a-t-il martelé. Et de rappeler au Tunisien son droit de vote. Voter signifie, selon lui, «transparence, liberté et responsabilité».
D’où vient l’argent des partis ?
Ceux qui ont de l’argent ne se cachent plus. Ils s’affichent et se moquent royalement des lois interdisant la publicité politique, à compter du 12 septembre, et continuent à faire leur matraquage publicitaire à la radio, à la télé et dans les zones urbaines. Ceci nuit horriblement aux autres partis qui se sont soumis tout de suite à la loi. Le chef d’Al Majd se dit inquiet face à la voracité de quelques chefs de partis qui tentent d’arriver au pouvoir par le plus court des chemins, à savoir le matraquage publicitaire. Mais ce qui l’agace le plus, ce ne sont pas seulement les spots et les affiches. Il y a plus grave. «C’est surtout l’origine de l’argent qui doit inquiéter le Tunisien. D’où ça vient ? Ceci est le travail de la Cour des comptes qui doit tout surveiller et le rendre public. Est-ce cela la transparence si attendue, est-ce cela le chemin vers la démocratie ?», s’indigne M. El Hani avant de lancer un appel au peuple pour qu’il fasse attention aux nouveaux «baltagia» (un mot emprunté à la révolution égyptienne qui veut dire milice) de la politique.
En réponse à la question du référendum, qui a divisé les politiques et fait couler beaucoup d’encre, Abdelwahab El Hani propose son «Doustour El Amen» (la constitution de la tranquillité) avec des fondements qui rassurent le peuple. Les prochains élus de la Constituante doivent, selon lui, éviter le vide. «Il ne faut pas qu’il y ait un vide constitutionnel, sinon la situation dans le pays va encore se détériorer. Il faut mettre fin à ce vide le 23 octobre. Nous l’avons vécu après le 14 janvier et nous le vivons encore et si le vide constitutionnel continue, le pays s’écroulera», a-t-il prévenu. Selon lui, il faut tenir bon et se rappeler que la Tunisie a eu depuis belle lurette sa constitution. Elle a été signée, il y a 150 ans (allusion à la constitution Ahd Al Amen signé le 21 avril 1861). «D’ailleurs, en avril dernier, Al Majd était le seul parti à célébrer ce 150ème anniversaire», a-t-il tenu à rappeler.
Abdelwaheb Hani
Une alliance nationale s’impose
Lors de ce meeting, M. El Hani, qui était entouré de plusieurs militants de l’Ariana (et de têtes de listes de Ben Arous et de Nabeul), a souligné plus d’une fois la nécessité de rompre définitivement avec le régime de la dictature et de la discorde : «Au lieu que ces politiques se chamaillent pour des futilités et cherchent à diviser le pays en deux, ils auraient dû, en cette période délicate, s’allier pour pouvoir reconstruire le pays et aller de l’avant. Ils peuvent s’entendre et rattraper le temps perdu».
Pour reconstruire le pays, il faut qu’il y ait déjà une atmosphère propice, de liberté et de responsabilité. Dans l’immédiat, elle a du mal à prendre, à cause de quelques partis qui tirent le pays vers l’anarchie. Selon M. El Hani, le seul moyen est l’instauration d’une nouvelle culture politique : «Nous devons, a-t-il poursuivi, continuer notre combat et comme le dit l’adage ‘‘Edwam yonqeb errkham’’ (la persévérance fait des trous dans le marbre), et nous aurons gain de cause».
Le combat ne fait donc que commencer et ceux qui aiment leur patrie n’ont qu’à se ranger, selon M. El Hani, aux côtés de ceux qui sont animés de bonne volonté. Le leader d’Al Majd ne désespère pas, mais cherche à plaider pour cette alliance qui travaillera d’arrache-pied pour une égalité des chances. Non à un fossé entre les régions et à une ségrégation entre les citoyens. «Il ne doit pas y avoir une différence entre le nord et le sud et entre l’est et l’ouest, entre un chômeur et un salarié, entre un employé et son employeur, entre un pauvre et un riche, entre un homme et une femme, entre une voilée et une non-voilée. Al Majd appelle à l’unité nationale et ceci n’attend pas».
Selon le secrétaire général d’Al Majd, cette nouvelle culture doit être assumée par tous les chefs de partis qui n’ont pas à courir derrière leurs intérêts personnels et oublier ceux du peuple. «Nous devons ensemble introduire le mot ‘‘Erhal’’ (Dégage) dans notre culture politique. Si quelqu’un n’est pas valable et n’est pas sur la bonne voie, il doit partir. Il dégage. On n’a pas besoin de destituer à chaque fois un dictateur en faisant une révolution . s’il n’est pas bon, il doit partir».
Le chef d'Al Majdi déplore la proximité de l'argent et de la politique
Cette ligne semble, selon M. El Hani, celle de Mustapha Ben Jâafar, chef d’Ettakatol et d’autres chefs de partis. «La position de M. Ben Jâafar est positive. Elle nous réjouit. Celles du Poct de Hamma Hammami et du Cpr de Moncef Marzouki sont sur la même voie. Ahmed Ben Brahim du parti Ettajdid l’a enfin compris», a-t-il expliqué. Y a-t-il une négociation en cours pour la constitution d’une telle alliance nationale ? L’orateur n’en dit pas plus.
Corruption, médias boudeurs et partis-pris
Abdelwahab El Hani se plaint de n’avoir jamais été invité sur les plateaux de radio ou de télévision depuis qu’il a fondé son parti. «A part quelques courtes interviews pour meubler le Journal télévisé, on n’a jamais fait appel à moi», a-t-il déploré. Le discours sans concession de M. El Hani déplaît-il à certains médias qui n’hésitent pas à afficher grossièrement leurs préférences ? Peut-être. «Nous allons continuer à dénoncer les voleurs du peuple», lance encore M. El Hani.
«Nous avons aujourd’hui un seul ennemi : la corruption et ses dérivés», assène encore le chef d’Al Majd. «Ceux qui sont pressés et disent ‘‘tawa’’ (tout de suite) risquent de trébucher et de ne jamais arriver à leur fin», ajoute-t-il, par allusion au slogan du Patri populaire libre (Upl) affiché partout en ville.
Le Tunisien a souvent été décrit comme un bon vivant, qui passe son temps sur facebook, totalement déconnecté de la vie politique. «Le voilà qui prouve au monde entier que c’est lui qui a inventé un autre genre de révolution. Il est descendu dans la rue, sans arme et a demandé dans la dignité son droit», a rappelé M. El Hani, tout en insistant sur l’esprit rebelle des Tunisiens, «qui n’accepteront plus la soumission».