«Faire face aux principaux défis» tunisiens passera par la construction d’«un consensus national» a déclaré Rached Ghannouchi, le fondateur d’Ennahdha, au journal turc ‘‘Zaman’’.

Entretien réalisé par Esra Basbaydar


Les rapports de force ont-ils vraiment changé depuis la fuite de l’ancien président Ben Ali ?

Les rapports de force n’ont pas complètement changé. L’ancien régime a conservé un degré d’influence élevé dans l’administration, la justice, les services de sécurité, les médias ainsi que dans d’autres secteurs via ses représentants et ses réseaux.

Ce qui a changé est qu’un nouveau pouvoir est apparu : le pouvoir du peuple. Le peuple s’est soulevé, a pris conscience de sa force et de son potentiel. Il ne peut plus être réduit au silence ou déçu, et il est déterminé à démanteler le système dictatorial et à finir la révolution entreprise en offrant à la Tunisie, grâce à une transition démocratique, un nouveau système respectueux de la liberté et de la dignité de tous ses citoyens.

Parmi vos adversaires, de plus en plus de personnes s’inquiètent du retour d’Ennahdha sur la scène politique qui pourrait, selon eux, «islamiser» la Tunisie. Qu’en pensez-vous ?

Ces inquiétudes sont le résultat de décennies de campagnes de désinformation sur Ennahdha. Cette version, utilisée par Ben Ali pour faire peur, autant au sein du pays que dans le monde, lui permettait de justifier l’oppression de notre parti. Après la révolution, des opposants de Ben Ali ont adopté les mêmes pratiques car ils s’inquiètent du poids électoral d’Ennahdha. Notre parti a toujours déclaré être opposé à l’instauration d’un Etat théocratique. Nous nous sommes toujours battus pour une société où la liberté religieuse, la liberté de conscience et de choix sont garanties et protégées. La liberté est pour nous une valeur essentielle.

Croyez-vous que les prochaines élections en Tunisie seront vraiment démocratiques ?

Les élections n’ont pas encore eu lieu, mais nous espérons qu’elles seront totalement démocratiques, libres et justes. Nous appelons les observateurs internationaux à participer au contrôle de ces élections afin de leur donner plus de crédibilité et pour que les gens aient confiance dans le résultat de ces élections. Nous souhaiterions inviter la Turquie, connue pour sa longue tradition d’élections libres et justes, à participer au contrôle des élections du mois d’octobre.

Si Ennahdha est élu, comment accomplira-t-il la transition démocratique ? Serez-vous capable de transformer un système profondément divisé et corrompu ?

Nous avons déclaré à plusieurs occasions que même si nous obtenons la majorité absolue, nous souhaitons que le pays soit dirigé par un gouvernement de coalition. Cela nous permettrait de construire un consensus national en collaboration avec les partenaires sociaux afin de faire face aux principaux défis auxquels est confronté le pays : le défi économique, le défi de la sécurité et le défi pour mettre en place de nouvelles institutions démocratiques, c’est-à-dire une constitution démocratique, une justice indépendante ainsi qu’un parlement et un président élu démocratiquement. Ce consensus nous permettrait aussi d’obtenir une réconciliation nationale pour combattre et cicatriser les injustices du passé, à l’image de l’Afrique du Sud.

Quels sont les projets d’Ennahdha en cas d’échec aux prochaines élections ?

Avant tout, l’objectif d’Ennahdha n’est pas de gouverner, mais de prendre part aux efforts historiques pour construire une Tunisie démocratique. Quels que soient les résultats, nous devrons les accepter et travailler sur nos projets et nos objectifs. La démocratie, c’est avant tout accepter les résultats d’élections libres et justes.

Vous avez à plusieurs reprises comparé l’Akp turc avec Ennahdha. Quelles sont les ressemblances et que peut apporter l’exemple de l’Akp à Ennahdha ?

La plupart de mes livres ont été traduits en turc et ils ont pu avoir une influence sur l’Akp. Nous avons toujours dit que l’islam et la modernité étaient compatibles. Nous ne pouvons pas nous permettre, dans le monde musulman, de renier une partie importante de notre identité, l’islam. Cette exclusion n’a fait qu’entraîner des conflits et un échec politique et économique. Nous appelons à la réconciliation nationale, nous voulons nous réconcilier avec notre identité pour rendre possible la coexistence de l’islam et de la démocratie.

D’un point de vue économique, nous souhaiterions suivre l’exemple de la Turquie qui a ouvert son marché à la libre initiative, entraînant ainsi un triplement du revenu national du pays.

La Turquie a-t-elle été un exemple pour la Tunisie ou l’Egypte ?

Tous les peuples aspirent à la liberté et à la dignité et ces aspirations étaient à l’origine de ces révolutions.

Néanmoins, il est vrai que l’exemple de la Turquie nous prouvait que cela était possible. Ce pays a démontré que la corruption, la pauvreté et le manque de liberté que vivaient les pays arabes n’allaient pas de soi ou n’étaient pas inhérents à la culture arabo-musulmane comme l’affirmaient certaines théories non-fondées.

Le modèle turc, tout comme le modèle malaisien, nous prouvent que la prospérité et la démocratie peuvent émerger et se développer dans notre propre culture et qu’elles n’ont pas besoin d’être imposées par une intervention extérieure.

Quelles seront les relations turco-tunisiennes à l’avenir ?

Les deux pays entretiennent des relations depuis de nombreuses décennies. D’ailleurs, le drapeau tunisien ressemble beaucoup au drapeau turc. Nous souhaiterions développer encore plus ces relations en élargissant notre coopération économique, culturelle et universitaire afin de développer un meilleur échange entre nos deux sociétés.

Source : ‘‘Zaman’’.