Parmi la délégation qui accompagne Béji Caïd Essebsi dans sa visite aux Etats-Unis (3-7 octobre), la présence de Mohamed Nouri Jouini n’est pas passée inaperçue. Quel sens donner à cette réapparition ?

Par Ridha Kéfi


Ministre du Développement économique et de la Coopération internationale sous Ben Ali (2002-2011), contraint de démissionner du 1er gouvernement de l’après-Ben Ali, où il a occupé – pour quelques jours – le poste de ministre de la Planification et de la Coopération internationale, M. Jouini a disparu de la circulation depuis sa démission le 28 février dernier avant de réapparaître à la faveur de cette visite du Premier ministre du gouvernement provisoire aux Etats-Unis.

La théorie du complot

Comment expliquer cette réapparition de M. Jouini alors qu’il n’occupe aucun poste officiel, ni dans le gouvernement ni dans l’administration ? A-t-il été associé à cette visite officielle en tant qu’expert en coopération internationale et notamment en relations tuniso-américaines ? Ce voyage à Washington prépare-t-il le retour de ce technocrate tranquille sur les devants de la scène politique en Tunisie ? Quel sens donner à son hypothétique retour à quelques semaines de la fin du mandat du gouvernement provisoire et, probablement, de l’avènement d’un second gouvernement provisoire ? Comment les Tunisiens, qui ont développé une allergie particulière à l’égard de tous les collaborateurs de Ben Ali, appréhenderont-ils ce retour inattendu ? Les adeptes de la théorie du complot, souvent très allergiques aux ingérences étrangères, et particulièrement à celles des Occidentaux, pourraient se demander si ce ne sont pas les Américains qui ont repêché M. Jouini à cette occasion. Non, bien sûr, ce serait faire peu cas de l’attachement des Tunisiens à leur autonomie de décision.

Quoi qu’il en soit, cette réapparition intrigue et suscite des questions auxquelles le Premier ministre du gouvernement provisoire serait bien inspiré de répondre à son retour à Tunis, afin d’éviter qu’elles ne suscitent les rumeurs les plus folles.

Un commis de l’Etat


Mohamed Ghannouchi et Nouri Jouini.

M. Jouini n’a pas été très proche de l’ancien dictateur. Son nom n’est pas associé à la corruption des Ben Ali, Trabelsi ou El Materi. Il ne s’est pas illustré non plus par d’ostensibles engagements politiques ni n’a été membre du Rcd, l’ancien parti au pouvoir. Durant les nombreuses années qu’il a passées dans le gouvernement de Ben Ali-Ghannouchi, il s’est contenté d’un rôle de technocrate ou de simple commis de l’Etat : il s’exécutait sans état d’âme. En harmonie avec un régime qui, tout compte fait, ne lui posait pas problème. Ce qui ne dénote pas, chez ce fonctionnaire lisse et quelque peu effacé, de grandes qualités morales.

Cela dit, on peut estimer que M. Jouini, titulaire d’un doctorat d’Etat en sciences du management de l’Université de l’Oregon (USA), est un bon gestionnaire pour qui les arcanes de l’économie tunisienne n’ont pas de secret, et qu’à ce titre, il peut apporter une expertise dont le pays a besoin pour redéployer ses stratégies de développement.

On peut estimer aussi que les grands écarts de développement entre les régions, qui ont provoqué la révolution, sont un peu aussi la marque indélébile de son échec : n’était-il pas le principal responsable de ce dossier depuis 2002 ?