Les propositions des partis politiques ayant présenté des listes à l’étranger paraissent bien décevantes et témoignent d’une approche simpliste des priorités et des solutions pressenties.

Par Samir Bouzidi*


 

Dans la forme, la formulation de ces mesures ne dépasse que trop rarement la taille d’un paragraphe et tient davantage du méli-mélo que d’un programme structuré et chiffré.

Consensus sur les droits politiques et l’incitation à l’investissement

La question centrale des droits politiques des Tunisiens de l’étranger fait l’unanimité chez tous les partis étudiés. Le principe d’une appartenance à une communauté nationale unique et indivisible, avec les mêmes droits et devoirs pour tous les citoyens, est acté par tous. Notre représentation au futur parlement, notre droit de vote et notre éligibilité (même les binationaux) sont acquis.
Petite ambivalence tout de même concernant l’éligibilité des binationaux à l’élection présidentielle.

Sur ce point, les partis sont peu diserts. Seul l’Union populaire républicaine (Upr) exprime une position claire en ne reconnaissant pas ce droit aux binationaux, par peur du conflit d’intérêt.
Pour les «grands» partis, la représentation des Tunisiens de l’étranger doit dépasser le cadre parlementaire. Ainsi, le Pôle démocratique moderniste (Pdm), le Pari démocratique progressiste (Pdp), Ettakatol, Ennahda… prévoient l’instauration d’un secrétariat d’Etat des Tunisiens de l’étranger et même un Conseil représentatif des Tunisiens de l’étranger. Concernant cette instance, les programmes restent néanmoins très évasifs : attributions, moyens, composition des membres, positionnement aux côtés de l’Office des Tunisiens à l’étranger (Ote). Le devenir de l’Ote est une question occultée par tous les partis. Pourtant, nous sommes très nombreux à nous interroger sur le devenir de cette institution très décriée qui a largement failli à ses missions originelles tout en engloutissant l’essentiel des budgets alloués à notre communauté.

Certes, la promulgation de nos droits politiques constituerait une avancée certaine mais l’on peut légitimement s’interroger, à la lumière de la faible mobilisation des Tunisiens de l’étranger dans le scrutin en cours (moins de 1 Tunisien de l’étranger sur 4 est inscrit sur les listes électorales) si c’est la préoccupation majeure actuelle de notre communauté.

Dénominateur commun à tous les partis, la nécessité d’accompagner et soutenir l’investissement des Tunisiens de l’étranger dans le pays d’origine. On regrette que cette question d’intérêt national n’occupe qu’au mieux 5 lignes dans les programmes des partis. Pour ce sujet majeur, en dehors des déclarations de bonne intention communes à tous, peu ou prou de propositions concrètes et créatives.

Nous avons retenu le bonus fiscal pour toute ouverture de compte, la réduction des frais de transfert d’argent, l’ajustement des billets d’avion/bateau (Ettakatol), le lancement d’un fonds de financement pour les projets portés par les Tunisiens de l’étranger (Pdm), la création d’une agence économique et sociale (Parti libéral maghrébin, Plm). Néanmoins, ces mesures sont trop peu étayées pour pouvoir être appréciées à leur juste valeur.

Etrangement absents sur les autres préoccupations majeures

Assainir la relation avec les consulats : nécessité de faire évoluer les missions des consulats plus en phase avec les aspirations nouvelles et la diversité de notre communauté ; assistance/encadrement social de certaines catégories de citoyens plus vulnérables (jeunes, «chibanis», demandeurs d’emplois, sans-papiers…) ; dynamisation du tissu associatif ; soutien à l’initiative économique vers la Tunisie ; meilleure couverture des territoires ; e-administration ; mixer les équipes en favorisant le recrutement local…

Accompagnement dans le pays d’accueil : les droits et les conditions de vie se sont considérablement durcis pour les migrants en Europe. En Italie et en France, certains de nos concitoyens (étudiants diplômés, sans-papiers, «chibanis»…) sont particulièrement exposés.

Devant l’insuffisance de nos consulats dans ce domaine, nos futurs représentants, mieux formés et mieux intégrés dans les sociétés d’accueil, ont le devoir de porter assistance à ces citoyens vulnérables, organiser l’entraide communautaire, relayer dans les médias locaux…

Autre préoccupation majeure de notre communauté : notre tissu associatif. Toutes nos associations à l’étranger souffrent des mêmes maux structurels : sous-structuration et sous-activité dûes au sous-financement. D’autres pays voisins ont compris depuis longtemps les enjeux stratégiques de leurs Ong communautaires à l’étranger, c’est le cas du Maroc qui compte 1.200 associations actives en France contre à peine 150 associations tunisiennes.

Outre le vecteur d’image et de solidarité des associations, ces dernières ont un rôle structurant indéniable sur notre communauté. La question de la transmission intergénérationnelle de notre identité est une réalité pour beaucoup de parents à l’étranger. Dans ce domaine, des associations engaillardies ont certainement un rôle moteur à jouer : événements, cours d’arabe et cours d’histoire, réseautage… Permettre aux plus jeunes de retourner plus souvent au pays à moindre coût, lancer des médias et contenus spécifiques sont des axes pertinents…

Et la chasse au fonds du clan de Ben Ali ?

Enfin, on est déçus de voir mentionné nulle part l’implication pourtant cruciale de nos futurs représentants dans la chasse aux fonds du clan Ben Ali. Rappelons que des milliards d’euros sont actuellement immobilisés à l’étranger, la faute très souvent à des contre-forces politiques.

Nos représentants, bien insérés dans les sociétés d’accueil, doivent être à l’avant-garde de ce combat en organisant le lobbying auprès des gouvernements, domaine dans lequel nos autorités diplomatiques et notre communauté se sont montrées jusqu’alors bien timorées.

A suivre

* Journaliste et consultant spécialiste de la communauté maghrébine d’Europe.

Source : ‘‘Tunisiens du Monde’’.