La stratégie de développement de la Tunisie doit passer par le découpage économique et le marketing régional, ainsi que par le repeuplement de l’intérieur. C’est une proposition du parti Al Moubadara (Initiative).
Par Zohra Abid
La rencontre du parti Al Moubadara avec les médias, lundi à Tunis, a duré une petite heure. Il faut dire que les médias ne sont pas venus en grand nombre. Le programme économique proposé par le parti de Kamel Morjane, ancien ministre des Affaires étrangères sous-Ben Ali, n’a intéressé que peu de journalistes. Et même, les confrères présents étaient plus intéressés d’en savoir davantage sur la position du parti concernant les derniers incidents dans le pays, notamment la tentative d’attaque des locaux de Nessma TV et la politique éditoriale peu «musulmane» adoptée par cette dernière en pleine période électorale.
La liberté d’expression passe avant tout
«Nous défendons la liberté d’expression. S’il y a quelque chose à contester, il y a des tribunaux pour cela», a répondu Mondher Ben Amor, membre du bureau politique d’Al Moubadara. Et les dépassements commis par certains médias ? Et le rôle des partis en ce moment délicat ? «C’est un problème de liberté d’expression», s’est contenté de bafouiller M. Ben Amor, sans convaincre grand monde. Il voulait visiblement ménager la chaîne Nessma et les autres médias. De crainte de voir son parti boycotté et privé de plateaux télévisés en cette période électorale. Sa camarade Rim Mourali fut, pour sa part, plus loquace : «Les partis doivent entrer en ligne pour dialoguer avec les citoyens et essayer de les encadrer», a-t-elle dit. Car, selon elle, la démocratie n’aura pas lieu tant qu’il n’y aura pas cette volonté de coexister. «La Tunisie est plurielle et les citoyens sont appelés à vivre en harmonie. Nous ne pouvons pas, tous, partager les mêmes idées, mais pour avancer, il faut que nous dialoguions. L’essentiel, c’est d’être soudés. Aujourd’hui, nous sommes tous appelés à la construction du pays, tout en évitant de provoquer les gens. Pour cela, il nous faut des programmes d’édification et non de destruction», a expliqué Mme Mourali, dans un esprit consensuel.
Repeupler les régions
De droite à gauche, Ait Khalifa et Rim Mourali
Pour revenir à l’objet de la rencontre du jour, à savoir le programme économique du parti, Hedi Ait Khalifa, ingénieur (ancien d’IBM France, banquier, Pdg de plusieurs entreprises publiques et privées), a préparé un plan de reconstruction (et de sauvetage). L’homme d’affaires n’y est pas allé par quatre chemins. La Tunisie a besoin d’une nouvelle vision, a-t-il lancé. Et de proposer la sienne : «Il s’agit de faire un découpage régional d’est en ouest et de diviser le pays en seulement 5 régions, à l’image de l’Angleterre, de la France ou encore du Maroc», a-t-il expliqué. Faut-il rappeler ici que la même proposition avait déjà été présentée, il y a quelques semaines, par Dr Sahbi Basli, président du parti ‘‘Al Mostaqbal (L’Avenir).
Repeupler les régions
Mondher Ben Amor
Selon M. Ait Khalifa, l’idée est claire comme de l’eau de roche. «Ces régions doivent se développer par elles-mêmes. Vous me dites comment, je vous réponds tout simplement que le conseil régional élu doit aller se battre au conseil central et défendre sa région. Chaque région doit être représentée par les siens, seuls à défendre bec et ongles les intérêts de ceux qui les ont élus et leur ont fait confiance», a expliqué l’expert. D’ailleurs, quand on ne connaît pas la région et sa spécificité, quoi qu’on fasse, l’échec est au bout du chemin. «Le saupoudrage ne marchera plus et la mayonnaise ne prendra pas si les régions ne sont pas prises en charge par leurs propres enfants», renchérit l’homme d’affaires.
Après étude sur le terrain, Hedi Aït Khalifa a relevé un certains nombre de carences. «J’ai une passion. C’est d’emprunter les routes, les pistes entre les montagnes et les forêts. Je traverse les petites et grandes régions et voilà les conclusions de mes observations : le territoire doit être plus accessible, donc moins enclavé ; la formation professionnelle est à revoir de fond en comble ; chaque région doit sauvegarder son propre cachet et le mettre en valeur pour mieux le vendre ; et, dernier axe, l’environnement doit-être préservé», a-t-il insisté.
Les produits du terroir à mettre en valeur
Rim Mourali
Sur un autre plan, l’ingénieur a rappelé que la répartition inégale de la population sur le territoire (65% sur le littoral et 35% à l’intérieur) est une aberration totale. «Les 60 à 80.000 fonctionnaires compétents originaires des régions doivent migrer de Tunis vers leur région afin de contribuer à développer le terroir et surtout aider à exploiter les terres fertiles», a encore plaidé M. Aït Khalifa, qui croit aux vertus de ce retour aux sources. «Imaginez : si on mettait notre terre en vente ou, pour utiliser un mot moins choquant, en exploitation, les investisseurs viendraient tout de suite. Nous avons une terre fertile, il suffit de semer une graine dans n’importe quelle terre et elle va aussitôt germer. Notre économie se base avant tout sur l’agriculture, ne l’oublions pas. Ensuite, il y a le cachet des régions à préserver. Y en a marre de voir les mêmes buildings pousser partout. Le sud a son architecture, le nord-ouest aussi... Ce patrimoine doit être jalousement gardé», a expliqué à Kapitalis M. Aït Khalifa. Sont-ce là des remèdes magiques ? Non, bien sûr, répond-il, car «il faut lire l’histoire et en tirer des leçons», dit-il. Et de citer l’exemple de nos voisins marocains. «Ils l’ont très bien compris et le roi Mohamed VI a parié sur l’agriculture et la promotion des produits du terroir», a rappelé celui qui aime se définir comme un «sympathisant» du parti Al Moubadara (et non adhérent actif). «Il est temps de se tourner vers la terre et recourir au marketing régional», conclut-il.