Entretien avec Bochra Manaï, secrétaire général du bureau de l’Instance régionale indépendante pour les élections (Irie) Amériques et reste de l’Europe.

Propos recueillis par Sarra Guerchani, correspondante au Canada


 

A la veille du scrutin à l’étranger pour élire l’assemblé constituante tunisienne, Joseph Lavoie, porte-parole du ministère des Affaires étrangères canadien, a déclaré que la tenue du vote les 20, 21, 22 octobre, n’est pas conforme à la politique canadienne sur la non-inclusion du Canada dans un district électoral extraterritorial. L’Instance régionale indépendante pour les élections (Irie) des Amériques et du reste de l’Europe n’a pas réagi à cette déclaration. Mais le bureau était sur le qui-vive. La nuit du mercredi à jeudi a été blanche pour toute l’équipe. Les premiers à avoir voté dans cette circonscription ont été les Tunisiens en Russie.

Kapitalis : Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères canadien a annoncé mercredi soir que la tenue des votes les 20, 21 et 22 octobre n’est toujours pas conforme à la politique canadienne sur la non-inclusion du Canada dans un district électoral. Cette annonce ne semble pas avoir perturbé l’Irie. Les Tunisiens du Canada votent donc malgré tout ?
Bochra Manaï : Cette information, nous la connaissons depuis le 17 septembre dernier, lorsque l’ambassadeur de la Tunisie au Canada l’a annoncée devant la communauté. Il n’y a pas eu d’avancées en terme légal. Il n’y a pas eu de communiqué officiel qui explique l’inverse.  Il y a juste eu des tractations diplomatiques qui stipulaient que le Canada encourageait la Tunisie dans sa transition démocratique et les pays du printemps arabe. A aucun moment ils n’ont dit qu’ils étaient pour ou contre les élections. Chaque déclaration du gouvernement canadien démontrait son encouragement mais rappelait à chaque fois les deux points suivants : le Canada ne peut pas être une circonscription et les Tunisiens ne peuvent pas avoir de représentant canadien à la constituante. La position du Canada n’a jamais été réellement claire depuis le début.

Êtes-vous conscients à l’Irie que vous ne respectez pas la loi canadienne?  La Tunisie ne craint pas l’incident diplomatique avec le Canada ?

Un député conservateur avait dit à l’ambassadeur de la Tunisie, il y a quelques jours, que les Tunisiens n’avaient rien à craindre étant donné que les élections se passent dans des lieux souverains. Le Canada n’a aucun pouvoir sur ces élections. Par contre, si nous avions ouvert d’autres bureaux de vote sans l’accord du gouvernement canadien, peut être que l’incident diplomatique aurait été inévitable.

Le problème ne réside-t-il pas finalement dans l’utilisation du terme «circonscription» ? Le Canada n’a pas l’air de le comprendre comme l’Isie le conçoit ?

L’Isie a plusieurs fois précisé que notre circonscription n’était pas le Canada en tant que tel, mais que l’Amérique et le reste de l’Europe incluaient le Canada. C’est peut-être le fait que le bureau de l’Isie soit à Montréal qui a induit les autorités d’ici [Canada] en erreur.

Les autorités d’Ottawa ont tout de même permis aux Italiens, Français, Algériens d’inclure le Canada dans une circonscription. Cependant, à quelques mois des élections législatives françaises, le gouvernement hôte risque de refuser la demande des Français.

Il y a en effet du monde qui attend derrière nous. L’Italie, la France ont renouvelé leur demande pour les prochaines élections. C’est assez problématique parce que les relations entre le Canada et la France ne sont pas comparables à celles entre le Canada et la Tunisie. C’est un dossier à suivre.

Quels sont les risques pour que les autorités canadiennes annulent le scrutin du 20, 21 et 22 octobre ?

Ce qui pourrait éventuellement se passer, c’est que le Canada intervienne physiquement, c’est-à-dire que la gendarmerie vienne et bloque l’entrée des immeubles où se trouvent nos bureaux de vote. L’électeur ne pourrait pas entrer. La gendarmerie royale du Canada ne peut pas arrêter le scrutin à l’intérieur même du bureau mais peut barrer les portes de l’immeuble.

Si un électeur cause des troubles au sein d’un bureau de vote. La gendarmerie pourra-t-elle intervenir ?

On a lancé un message appelant au calme tous les Tunisiens qui vont venir voter. Les électeurs vivent un moment historique. Nous devons tous nous estimer heureux en tant que Tunisiens de pouvoir voter au Canada, malgré tout. Nous devons être à la hauteur de cette «non-permission» de voter. Nous avons du chemin à faire encore vers la maturité politique. Cependant, en voyant le chemin parcouru en si peu de temps, je suis confiante. C’est déjà beaucoup d’arriver à organiser des élections au bout de seulement neuf mois. En tout cas pour nous à l’Irie, ça a été un défi d’en arriver là aujourd’hui.

Quel est votre rôle durant les trois jours de scrutin ?

Nous sommes responsables de 25 pays entre l’Europe et les Amériques. Nous coordonnons les différents bureaux de vote de la circonscription. Il y a le décalage horaire à gérer. Les bénévoles que nous avons recrutés se chargent du scrutin. Les présidents des bureaux de vote sont là pour assurer son bon déroulement.