Plus de 1.500 Tunisiens ont voté au Canada le 20 octobre dans les cinq bureaux de vote entre Ottawa et Montréal. Reportage de la première journée du scrutin tunisien au Canada.

Sarra Guerchani, correspondante à Montréal.


Ce vote a eu lieu malgré le fait que le pays hôte ait interdit aux 15.800 ressortissant tunisiens de se présenter aux urnes. Le gouvernement canadien a refusé, en effet, de revenir sur sa décision. Pourtant les Tunisiens n’ont pas l’air d’avoir été gênés par cette loi. Ils continuent leur vote.

«Le gouvernement canadien a renouvelé sa position à plusieurs reprises concernant son interdiction de laisser voter les Tunisiens sur son territoire», rappelle le nouveau consul de la Tunisie au Canada, Nehrou El Arbi.

En effet, un mail du porte-parole du ministère canadien des Affaires étrangères précise notamment : «Nous avons communiqué clairement [notre] politique au gouvernement de la Tunisie à l’effet que le Canada s’objecte par principe à toute demande d’autres Etats étrangers d’ajouter le Canada à leurs circonscriptions électorales extraterritoriales respectives. La tenue du vote les 20, 21, 22 octobre n’est toujours pas conforme à la politique canadienne sur la non-inclusion du Canada dans un district électoral extraterritorial.»

A ce commentaire, le consul a répondu clairement à son tour : «Nous votons sous la direction de notre gouvernement. Nous avons respecté les accords de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires.»

La Tunisie est-elle à l’abri d’un incident diplomatique en bravant la loi canadienne ? A cette question M. El Arbi répond : «Le Canada doit comprendre que c’est un moment historique pour la Tunisie, c’est comme une fête nationale, ce qui se passe ces jour-ci dans nos bureaux de vote. Nos relations doivent continuer.»

Les Tunisiens apprécient l’organisation du scrutin


Le geste tant attendu.

Les deux gouvernements campent sur leurs positions respectives. La situation est complexe, surtout lorsque le ministère des Affaires étrangère canadien reconnaît tout de même que «les locaux diplomatiques et consulaires sont inviolables en vertu du droit international.» En d’autres termes, les autorités canadiennes n’ont pas le droit de mettre les pieds dans les lieux souverains et ne peuvent donc pas empêcher les Tunisiens de voter.

L’Instance régionale indépendante pour les élections (Irie) a toute même pris les devants en lançant un appel au calme la veille du scrutin, demandant aux électeurs de faire preuve de civisme durant les élections, afin d’éviter toute complication. Résultat : du côté des bureaux de vote, tout se passe bien.

«Je vous donne le bulletin ; vous le lisez ; vous cochez la liste que vous choisissez ; vous revenez me voir avec la feuille pliée ; je vérifie que l’arrière est bien tamponné ; vous la mettez dans l’urne et je confirme que vous avez voté» : voici ce que répète, depuis 7h du matin, le président de l’un des bureaux de vote du consulat, Hichem Motemem, aux centaines d’électeurs tunisiens, qui se présentent à lui, munis d’une pièce d’identité tunisienne. Idem dans les deux autres bureaux de vote de la ville.

Les deux présidents, Aida Reguigui et Mourad Chtioui, sont debout depuis des heures et ils expliquent la démarche à suivre aux électeurs. Le sourire aux lèvres et une belle parole accueillent les ressortissants tunisiens. Une attitude remarquée par les électeurs : «Je suis très content et très fier d’être là. C’est un grand jour pour moi de venir voter. Le scrutin est bien organisé, et a l’air d’être transparent», indique Anouar, qui s’apprête à entrer voter.

Des électeurs calmes et patients


Un geste qui fait renaître une nation.

Tout comme cet électeur, plusieurs autres personnes n’ont pas manqué de souligner la bonne organisation de ces élections à Montréal : «Chapeau bas à ces bénévoles. Ils font du bon travail. Ils nous ont tout bien expliqué. En plus, ils ont été très accueillants et souriants. Ça fait vraiment plaisir de voir ça. Ça me donne une idée sur la Tunisie que je veux voir», indique Amine en sortant de l’isoloir avec un grand sourire pointant son index gauche imprégné d’encre bleue.

Quant aux électeurs, tous s’arment de patience dans des files d’attente parfois longues. Ils sont calmes, aucune altercation n’a été notée durant la première journée. Tout le monde a l’air serein et surtout fier de voter : «Je suis tellement content de faire cette file aujourd’hui. J’ai 35 ans, je vote pour la première fois de ma vie», confie Mohamed. Un peu plus loin dans la queue, un homme essaie d’immortaliser ce moment avec son appareil photo : «Je veux prendre plein de photos. J’ai l’impression de vivre un rêve. C’est fou à quel point notre peuple a pu se sentir frustré durant les dernières décennies.»

D’autres, pas tout à fait décidés

Malgré le fait que les Tunisiens du Canada se sont précipités aux urnes, ils restent nombreux à ne pas avoir pris le temps de lire les programmes des 19 listes représentées dans la circonscription des Amériques et du reste de l’Europe. «J’ai une idée globale ; je sais ce que je veux pour la Tunisie ; je voterai pour celui qui répond à mes attentes. Mais je vous mens si je vous dis que j’ai lu tous les programmes politiques», avoue Mohamed dans la file d’attente.

D’autres électeurs n’ont pas pris le temps de se renseigner sur les partis représentés dans leur circonscription, comme cette femme, qui prend son bulletin de vote. Elle se dirige vers l’isoloir et en ressort à peine entrée. En toute naïveté, elle informe le directeur du bureau de vote : «Je ne trouve pas le parti pour lequel je veux voter !», s’exclame- t-elle. Le président du bureau de vote se lève et lui explique calmement qu’elle n’a pas le droit de parler une fois dans l’isoloir et que si une liste n’est pas mentionnée, c’est tout simplement parce qu’elle n’a pas eu de représentation dans cette circonscription. Désespérée la femme retourne dans l’isoloir pour faire ou pas un autre choix.

Plus de 14.000 électeurs devaient passer, vendredi et samedi, pour voter au Canada. Selon les organisateurs, la majorité des Tunisiens viendront voter samedi, jour de congé.