L’auteure a voté, dimanche 23 septembre, à l’école primaire d’Amilcar, dans la banlieue nord de Tunis. Elle raconte sa journée d’électrice.
Par Leila Fani
Réveillée plus tard que prévu... Nous sommes le 23 octobre 2011, jour de vote, jour DU vote !! Vite, vite... Dans la rue, mon voisin sort aussi de chez lui. Nous y allons de concert. Arrivés au niveau l'école primaire du quartier, nous sommes presque soulagés : pas de queue impressionnante mais nous déchantons, une fois dans la cour de l’école, là, la queue est confortable !!
Mon voisin, rebrousse chemin pour revenir plus tard. Je reste.
Il est 10h06
Une jeune femme enceinte est assise, toute jolie, toute rose. Sur son T-shirt, qui s’arrondit sur son ventre, il est inscrit «Ma maman vote pour moi». On ne le sait pas encore mais elle restera jusqu’au bout, son mari est juste devant nous, elle tient à voter avec lui.
On commence à faire copain-copine avec ceux qui nous entoure, l’ambiance est bon enfant. Très vite on s’aperçoit que certains entrent et sortent plus vite que les autres : ce sont ceux qui votent en salle 2, la salle de ceux qui se sont inscrits lors des prolongations d’inscription. Ceux qui ne sont pas inscrits sont envoyés vers un autre bureau.
Les observateurs accrédités sont là, il y a au moins deux associations. Ce sont eux qui nous ont renseigné pour la salle. Ils repèrent aussi les vieilles personnes, les femmes enceintes, les handicapés qui sont prioritaires et les accompagnent. Mais leur rôle est surtout de veiller au bon déroulement de l'opération
Monsieur le Maire, transitoire comme le gouvernement, vient faire un tour et saluer quelques amis, il a déjà voté.
Il est déjà 11h.
Dans la queue, on papote toujours. On se demande si Ben Ali a voté. On en rit. On discute des partis, si, si. Ma voisine, la cinquantaine, me dit qu’elle ne veut pas voir Ennahdha gagner.
Décidément ! Ils sont pourtant là, dans ce quartier qui compte un local très actif... Il se murmure qu’à l’extérieur, ils engagent les femmes voilées à voter pour eux mais, ni à l’arrivée, ni à la sortie, je n’ai vu de barbus embusqués ! Chacun a l’air de savoir ce qu’il fait là et se dit prêt à accepter le résultat des urnes.
Les policiers et les militaires (deux jeunes et jolies soldates !) sont placés à l’entrée à l’intérieur de l’école, les policiers, eux, sont à l’extérieur. Ni les uns ni les autres n’ont le droit de voter.
On voit passer une femme en safsari (voile traditionnel tunisien) qui sort du bureau de vote. Ce sera la seule, durant notre attente.
Dans la file, on commence à fatiguer mais lui, qui n’est pas Tunisien et qui ne vote pas, qui est venu accompagner des amis, fera la queue jusqu’au bout et debout. Avec un pied dans le plâtre...
Encore une étrangère ? Un observateur ? Non, elle vient de sortir du bureau de vote, elle attend son mari. Elle est d’origine suédoise mais elle a pris la nationalité tunisienne. Elle a voté.
Il est 12h.
Nous avançons, très, très lentement mais nous avançons ! On en a repéré une qui a réussi à couper la file... Pas grave, on ne s’énerve pas. On suit sa progression, on s’en amuse ! On se dit que la prochaine fois, on apportera de l’eau, des sandwichs ! On se dit que la prochaine fois, les marchands ambulants étonnamment absents, s’organiseront aussi...
Lui, il est sorti avec deux doigts bleus ! Eh oui, il a été trop vite et il a trempé l’index de la main droite. Au bureau, on est très tatillon sur les instructions, il a dû le refaire avec l’index gauche !
Elle, elle va sur ses 70 ans et elle est très excitée, toute fière.
Lui, il a tout juste 18 ans et il est plutôt grave et timide.
Dans la file, ils discutaient avec passion de politique, des partis, de manière contradictoire. Interrogés, ils ont dit qu’ils ne se connaissaient pas, ils ont accepté de poser.
Il n’est plus très loin de 13h, ce sont les derniers mètres.
On n’a pas le droit de filmer dans les bureaux de vote mais on s’inquiète de ceux qui les tiennent : ils sont là depuis 5h30 ce matin et ne quitteront les lieux qu’après le dépouillement. On a une pensée pour eux.
On a suivi la file ensemble, elles ont toutes les deux 20 ans.
Dans 2 mn, elle va enfin voter, son mari est avec elle. Elle aura patienté 3 heures (et le bébé avec!)
A 13h, ça y est, c'est fait.
Très rapide. On s’étonne de la consistance de l’encre qui n’est pas liquide et de la taille du bulletin de vote : une feuille au format A3 ! On vérifie les tampons au verso sur les 4 côtés, on passe dans l’isoloir et hop dans l’urne ! 3 heures de queue pour 3 minutes de vote mais tout le monde la referait, s’il le fallait.
A la prochaine!