Le déjeuner-débat organisé par l’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge), mardi 22 juin, à l’occasion du 60e anniversaire de la déclaration de Robert Schuman, texte fondateur de l’Union européenne (UE), a porté sur la méthode d’intégration européenne et son exemplarité pour les pays de l’Union du Maghreb arabe (Uma).



Pour Adrianus Koetsenruijter, chef de la délégation de l’UE en Tunisie, cet ensemble régional s’est constitué au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il se fondait sur l’idée que le meilleur moyen pour éviter les conflits et maintenir une paix durable en Europe était la fusion des intérêts économiques des pays. L’économie n’était pas une fin en soi, mais un moyen pour consolider la paix. L’Union a ainsi commencé comme une communauté économique de six pays, constituée autour de l’acier et du charbon, deux éléments essentiels à la reconstruction européenne.

Le casse-tête turc
De six pays, l’Europe est passée à 12, à 25, puis à 27, en s’élargissant d’abord au sud, puis à l’est. Ses pays membres ont chacun son caractère, sa langue et sa culture. Ils ne sont pas non plus au même niveau de richesse, de développement et de puissance. Ce qui fait de l’Europe un ensemble en réalité peu homogène. Mais, 60 ans après, peut-on parler de réussite?
Oui, répond M. Koetsenruijter, en ce sens que la paix recherchée est bien là, la stabilité et la prospérité aussi. L’intégration économique est également une réalité. Bien qu’imparfaite, l’intégration institutionnelle a enregistré des avancées elle aussi. Et si les frontières orientales, aux confins de la Russie, posent parfois des problèmes, l’une des grandes questions qui restent à régler, en matière d’élargissement, c’est celle de la Turquie.
Les considérations démographiques et culturelles – il semble difficile à l’UE de «digérer» un pays de 90 millions d’habitants en majorité musulmans –, mais aussi politiques liées au conflit entre ce pays, d’un côté, et la Grèce et Chypre de l’autre, deux membres à part entière de l’Union, empêchent d’envisager une intégration à moyen terme de la Turquie.
Cette question pourrait être réglée dans le cadre du processus de rapprochement (et d’association) entre l’UE et son voisinage est-européen et sud-méditerranée.

Modèle institutionnel: statu quo en vue
Pour l’ambassadeur de France, Pierre Ménat, le débat sur l’Europe a porté, durant les vingt cinq dernières années, sur trois questions essentielles. La première concerne les frontières. Celles-ci ont éclaté et l’Union est passée de 10 en 1986 à 27 aujourd’hui. Seconde question: les compétences et attributions communes, qui ont dépassé l’économique pour embrasser des pouvoirs plus élargis (migration et visa, défense et même politique étrangère). La troisième concerne le modèle institutionnel. Celui-ci, qui a peu changé, cherche encore son équilibre entre le fédéralisme, une utopie difficile à réaliser, et, en cas d’échec du Traité de Lisbonne, le repli sur une sorte de zone de libre échange ou sur une coopération à la carte renforcée.
Quoi qu’il en soit, la question de l’adhésion de la Turquie reste posée en termes cruciaux. Outre les aspects culturel et politique déjà évoqués, M. Ménat souligne le volume des aides que l’Union serait amenée à garantir à ce pays en cas d’intégration (25 milliards d’euros, soit 25% du budget européen actuel évaluée à 100, contre un total des budgets publics nationaux des 27 pays membres d’environ 4.600 milliards d’euros) et ensuite le poids qu’aurait le vote turc dans les instances européennes. Sachant que le nouveau système de vote équivalent à la population institué par le traité de Lisbonne et qui entrera en vigueur en 2014, ferait de la Turquie, avec 90 millions d’habitants, le premier votant en Europe (avant l’Allemagne).

Comment sera l’Europe en 2035?
«Ce sera le statu quo», prédit M. Ménat. Il y aura un élargissement limité aux Balkans. Mais rien n’indique, en tout cas pour l’instant, que les autres candidats potentiels à l’élargissement parmi le voisinage européen, en Europe de l’Est (Moldavie, Ukraine ou encore Russie) et en Méditerranée (Turquie) pourraient, dans un avenir proche, devenir membres de l’UE.
Christopher O’Connor, ambassadeur du Royaum-Uni, a tenu, pour sa part, à dissiper ce qu’il  appelle «le mythe de l’euroscepticisme» souvent reproché à son pays. «La Grande-Bretagne, qui est confrontée aux mêmes défis que le reste de l’Europe, a un grand intérêt à la réussite de l’UE», affirme-t-il. Il n’omet pas de souligner que «les peuples européens sont, dans leur ensemble, aussi divisés que les Britanniques sur l’Europe. Les Européens ont du mal à identifier l’Union et ses rouages. Ils lui imputent souvent tous leurs problèmes. La question de la subsidiarité – ce qui revient à la décision nationale et ce qui revient à celle de l’UE – divise les opinions.» L’ambassadeur impute les retards enregistrés par son pays sur la voie de l’intégration à l’UE (souci de souveraineté monétaire, non association au Traité de Schengen, etc.) à son entrée tardive dans l’Union, en 1973.
Tout en soulignant l’importance des programmes déployés en Tunisie par l’UE, mais aussi, au plan bilatéral, par les divers pays, agences de coopération et instruments de financement européens, l’ambassadeur d’Allemagne, Dr. Horst-Wolfram Kerll, fait remarquer que les médias tunisiens passent sous silence souvent ces programmes, qui restent très peu connus des Tunisiens.
Finalement, le débat n’a pu avancer sur l’objectif fixé par ses organisateurs, et sur lequel le modérateur, Hassen Zargouni, a essayé de revenir à plusieurs reprises, mais en vain: quelles sont les leçons que pourraient tirer les pays maghrébins, en quête d’un modèle d’intégration régionale viable, de l’expérience européenne. Ce sera peut-être pour une autre occasion…

 

R. K.