Le 22 octobre, alors que la porte de l’un des bureaux de vote de Montréal vient de fermer, le président de l’Irie exige sa réouverture pour des électeurs qui viennent d’arriver. Décision qui aurait pu annuler les résultats de deux urnes à Montréal.
Sarra Guerchani, correspondante à Montréal
Le 22 octobre, à 19 heures, au bureau de vote situé dans le centre culturel et social tunisien, au 3535, Chemin Queen Mary, à Montréal, l’un des quatre bureaux de cette ville, dirigé par Mourad Chtioui, les bénévoles viennent de faire rentrer les derniers électeurs. Un observateur est à l’intérieur et photographie la porte fermée. Dans sa main, un téléphone qui indique l’heure exacte, preuve que l’ordre de l’Isie à ce sujet a été respecté. En effet, un communiqué de l’Instance supérieure stipule clairement et catégoriquement que «le président du centre de vote ferme la porte du centre à 19h00 chaque jour du vote. Toutes les personnes ayant fait la queue avant 19h00 sont acceptées.»
Les bénévoles font donc entrer tous les électeurs présents à l’intérieur de l’édifice et ferment la porte à l’heure convenue.
Les Tunisiens de Montréal votent.
Le président de l’Irie était moyennement ivre
Durant des mois, les membres de l’Irie de la circonscription Amériques et reste de l’Europe ont travaillé d’arrache-pied afin d’assurer le bon déroulement du scrutin. Néanmoins, son président n’a à aucun moment joué de rôle déterminant. Il porte juste son titre de président. C’est, en tout cas, ce que disent les mauvaises langues parmi ses collègues. Et voilà que le dernier jour, quelques minutes après la fermeture de la porte, et alors que tout se passe dans le calme, le directeur de l’Irie, Faouzi Ben Abdessamad, arrive avec un groupe d’électeurs.
Faouzi Ben Abdessamad
La bénévole, Dhekra Chebouh est à la porte. Elle fait entrer le président mais refuse l’accès aux autres personnes. M. Ben Abdessamad se tourne vers elle et lui dit : «Je suis le président de l’Irie, c’est moi qui décide qui entre et qui n’entre pas dans cet espace». La bénévole lui répond clairement qu’elle n’a fait qu’appliquer les ordres de son président. C’est alors que M. Ben Abdessamad lui répond : «Il n’y a qu’un président ici, et c’est moi. Je te rappelle que c’est moi qui a engagé les bénévoles, alors si tu ne respectes pas mes ordres, tu dégages !».
A ce moment un deuxième bénévole, Malek Letaïef, intervient pour bloquer la porte et informe le président du bureau, lui demandant de descendre immédiatement pour régler le problème : «Il m’a tenu par le coude et m'a poussé. Il a crié à cinq centimètres de mon visage : tu n’es qu’un bénévole ! Il empestait l’alcool», raconte M. Letaïef.
Mourad Chtioui arrive et M. Ben Abdessamad lui sert les mêmes arguments qu’à la jeune bénévole, le tout en le poussant et en lui parlant d’une manière on ne peut plus agressive. Le président du bureau de vote lui dit qu’il a outrepassé ses limites : «Vous êtes saoul, vous n’avez pas à vous comporter comme cela. Je vous rappelle que selon le règlement de l’Isie, c’est moi qui ai l’autorité ici et ce n’est pas vous qui m’avez engagé, c’est l’Isie».
Le président de l'Irie prend un somme pendant le dépouillement.
M. Ben Abdessamad était devenu incontrôlable. « Il était saoul durant l’exercice de ses fonctions et devant des centaines d’électeurs», raconte M. Chtioui. Effectivement, ses fonctions au bureau de vote étant limitées, puisqu’il était censé s’assurer de la logistique au sein des bureaux de vote et rien de plus. Mais, Faouzi Ben Abdessamed n’a pas arrêté de clamer qu’il était le «président de l’Irie» et qu’il était «le président et autorité ultime dans les 23 pays» (sic!). Il insistait également sur le fait que c’était lui qui nommait et destituait tout le monde et qu’il pouvait faire entrer aux bureaux de vote ou en sortir quiconque à sa guise.
Ce soir-là, le président de l’Irie ne voulait rien comprendre. Il continuait à crier après le président du centre et soutenait qu’il avait le pouvoir de modifier les règlements et les lois tels que convenu et que c’est lui qui est en charge de toutes les opérations et bureaux. Ce qui est, on s’en doute, totalement faux, puisque l’article 57 de la loi n°35 du 10 mai 2011 relatif à l’élection de la constituante, stipule clairement que «le président du bureau de vote est chargé de maintenir l’ordre à l’intérieur du bureau. Il peut, le cas échéant, suspendre les opérations de vote. Le président du bureau peut se faire assister par la force publique, à son initiative».
Le règlement est donc strict à ce sujet puisque dans le Guide des élections, il est précisé que le président du bureau de vote doit permettre à certaines personnes concernées par l’opération (journalistes, membre de l’Irie, observateurs, représentants des partis…) d’«accéder au bureau de vote, dans les limites de l’espace disponible dans les bureaux de vote sans que cela ne trouble le processus de vote. Ils ne doivent pas faire de bruit ou perturber l’ordre public». Or, dans ce cas précis, l’un des membres de l’Irie n’a pas respecté cette règle.
Un super-président carrément incontrôlable
M. Ben Abdessamad est sur ses nerfs. Il est difficilement contrôlable. Les membres du bureau de vote sont choqués par son comportement. Les électeurs répartis sur trois étages s’interrogent sur ce qui se passe. A ce moment, Mourad Chtioui essaie de suspendre le scrutin. La porte se ferme quelques secondes aux alentours de 20h00. Les électeurs commencent à se plaindre : «Nous sommes dans la file depuis cinq heures et demi de temps, et là on nous ferme la porte ! Que se passe-t-il? », s’écrit un homme dans la file. Le président du centre les rassure : «Ne vous inquiétez pas, tout va bien, nous avons une personne qui nous dérange, nous essayons de la faire sortir et nous reprendrons le scrutin».
Voyant que Mourad Chtioui lui tient tête, Faouzi Ben Abdessamad appelle la police. Un moment délicat pour le président du bureau de vote qui fait preuve de calme : «Je ne pense qu’à une chose. C’est de sauver le scrutin. Son acte aurait pu faire annuler les votes de nos deux bureaux situés dans cet immeuble de Montréal». Puis il rappelle les conditions dans lesquelles se déroulent les élections au Canada : «En appelant la police locale sur les lieux, sachant que la situation était très délicate avec le gouvernement canadien et que les locaux n’étaient pas supposés contenir un nombre aussi élevé de personnes, si la police était entrée à l’intérieur de l’édifice, elle aurait sûrement ordonné l’évacuation immédiate des lieux et le refoulement de tous les électeurs présents dans le lobby et les couloirs des deux étages (les bureaux de vote étant au 4e)».
Les membres de l’Irie parviennent à sauver la situation en calmant leur président et en rassurant la police restée devant l’édifice, étant donné qu’ils n’ont pas le droit d’intervenir à l’intérieur puisque c’est un lieu souverain, avant de s’en aller, en constatant qu’il n’y avait pas de raisons d’intervenir. Afin de sauver le bon déroulement du scrutin, Mourad Chtioui, malgré la fatigue au bout de 14 heures de travail non stop, sans prendre de pause de la journée, signe une lettre d’excuses demandée par Faouzi Ben Abdessamad, afin de calmer ce dernier et de résoudre le conflit.
Le président de l’Irie s’endort pendant le dépouillement
21h45, la dernière électrice dépose son bulletin dans l’urne. Le dépouillement peut commencer. Le président de l’Irie fera en sorte d’y assister même si le règlement de l’Isie stipule qu’avant le tri, le président du bureau de vote ou l’un de ses membres assure l’«évacuation du bureau de vote des personnes non autorisées à assister au tri à l’exception des représentants des listes candidates, des observateurs et des journalistes accrédités par l’Isie».
Dans ce bureau de vote de Montréal, les choses se sont passées autrement. Fouazi Ben Abdessamad aurait reçu l’aval, par téléphone, de l’ISIE, d’assister au dépouillement, alors qu’il n’en avait pas le droit. Ironie du sort, après toutes les perturbations provoquées, le président de l’Irie s’installe dans le bureau de tri et s’endort… Il n’assistera donc pas au dépouillement.
Les présidents des deux bureaux de vote situés sur la rue Queen Mary ont rendu leurs rapports sur cet incident du 22 octobre et les bénévoles ont également pris l’initiative d’en faire autant auprès de l’Isie. Ils espèrent que cette affaire ne soit pas étouffée par l’Isie.
La démocratie est, décidément, un dur apprentissage.
Tunisie. Comment le président de l’Irie a failli faire annuler le scrutin à Montréal
Le 22 octobre, alors que la porte de l’un des bureaux de vote de Montréal vient de fermer, le président de l’Irie exige sa réouverture pour des électeurs qui viennent d’arriver. Décision qui aurait pu annuler les résultats de deux urnes à Montréal. Sarra Guerchani, correspondante à Montréal
Le 22 octobre, à 19 heures, au bureau de vote situé dans le centre culturel et social tunisien, au 3535, Chemin Queen Mary, à Montréal, l’un des quatre bureaux de cette ville, dirigé par Mourad Chtioui, les bénévoles viennent de faire rentrer les derniers électeurs. Un observateur est à l’intérieur et photographie la porte fermée. Dans sa main, un téléphone qui indique l’heure exacte, preuve que l’ordre de l’Isie à ce sujet a été respecté. En effet, un communiqué de l’Instance supérieure stipule clairement et catégoriquement que «le président du centre de vote ferme la porte du centre à 19h00 chaque jour du vote. Toutes les personnes ayant fait la queue avant 19h00 sont acceptées.»
Les bénévoles font donc entrer tous les électeurs présents à l’intérieur de l’édifice et ferment la porte à l’heure convenue.
Le président de l’Irie était moyennement ivre
Durant des mois, les membres de l’Irie de la circonscription Amériques et reste de l’Europe ont travaillé d’arrache-pied afin d’assurer le bon déroulement du scrutin. Néanmoins, son président n’a à aucun moment joué de rôle déterminant. Il porte juste son titre de président. C’est, en tout cas, ce que disent les mauvaises langues parmi ses collègues. Et voilà que le dernier jour, quelques minutes après la fermeture de la porte, et alors que tout se passe dans le calme, le directeur de l’Irie, Faouzi Ben Abdessamad, arrive avec un groupe d’électeurs.
La bénévole, Dhekra Chebouh est à la porte. Elle fait entrer le président mais refuse l’accès aux autres personnes. M. Ben Abdessamad se tourne vers elle et lui dit: «Je suis le président de l’Irie, c’est moi qui décide qui entre et qui n’entre pas dans cet espace.» La bénévole lui répond clairement qu’elle n’a fait qu’appliquer les ordres de son président. C’est alors que M. Ben Abdessamad lui répond: «Il n’y a qu’un président ici, et c’est moi. Je te rappelle que c’est moi qui a engagé les bénévoles, alors si tu ne respectes pas mes ordres, tu dégages!».
A ce moment un deuxième bénévole, Malek Letaïef, intervient pour bloquer la porte et informe le président du bureau, lui demandant de descendre immédiatement pour régler le problème: «Il m’a tenu par mon coude et ma poussé. Il a crié à cinq centimètres de mon visage: tu n’es qu’un bénévole! Il empestait l’alcool», raconte M. Letaïef.
Mourad Chtioui arrive et M. Ben Abdessamad lui sert les mêmes arguments qu’à la jeune bénévole, le tout en le poussant et en lui parlant d’une manière on ne peut plus agressive. Le président du bureau de vote lui dit qu’il a outrepassé ses limites: «Vous êtes saoul, vous n’avez pas à vous comporter comme cela. Je vous rappelle que selon le règlementde l’Isie, c’est moi qui a l’autorité ici et ce n’est pas vous qui m’avez engagé, c’est l’Isie.»
M. Ben Abdessamad était devenu incontrôlable. « Il était saoul durant l’exercice de ses fonctions et devant des centaines d’électeurs», raconte M. Chtioui. Effectivement, ses fonctions au bureau de vote étant limitées, puisqu’il était censé s’assurer de la logistique au sein des bureaux de vote et rien de plus. Mais, Faouzi Ben Abdessamed n’a pas arrêté de clamer qu’il était le «président de l’Irie» et qu’il était «le président et autorité ultime dans les 23 pays» (sic!) Il insistait également sur le fait que c’était lui qui nommait et destituait tout le monde et qu’il pouvait faire entrer aux bureaux de vote ou en sortir quiconque à sa guise.
Ce soir là, le président de l’Irie ne voulait rien comprendre. Il continuait à crier après le président du centre et soutient qu’il a le pouvoir de modifier les règlements et les lois telles que convenu et que c’est lui qui est en charge de toutes les opérations et bureaux. Ce qui est, on s’en doute, totalement faux, puisque l’article 57 de la loi n°35 du 10 mai 2011 relatif à l’élection de la constituante, stipule clairement que «le président du bureau de vote est chargé de maintenir l’ordre à l’intérieur du bureau. Il peut, le cas échéant, suspendre les opérations de vote. Le président du bureau peut se faire assister par la force publique, à son initiative».
Le règlement est donc strict à ce sujet puisque dans le Guide des élections, il est précisé que le président du bureau de vote doit permettre à certaines personnes concernées par l’opération (journalistes, membre de l’Irie, observateurs, représentants des partis…) d’«accéder au bureau de vote, dans les limites de l’espace disponible dans les bureaux de vote sans que cela ne trouble le processus de vote. Ils ne doivent pas faire de bruit ou perturber l’ordre public». Or, dans ce cas précis, l’un des membres de l’Irie n’a pas respecté cette règle.
Un super-président carrément incontrôlable
M. Ben Abdessamad est sur ses nerfs. Il est difficilement contrôlable. Les membres du bureau de vote sont choqués par son comportement. Les électeurs répartis sur trois étages s’interrogent sur ce qui se passe. A ce moment, Mourad Chtioui essaie de suspendrele scrutin. La porte se ferme quelques secondes aux alentours de 20h00. Les électeurs commencent à se plaindre: «Nous sommes dans la file depuis cinq heures et demi de temps, et là on nous ferme la porte! Que se passe-t-il?», s’écrit un homme dans la file. Le président du centre les rassure: «Ne vous inquiétez pas, tout va bien, nous avons une personne qui nous dérange, nous essayons de la faire sortir et nous reprendrons le scrutin ».
Voyant que Mourad Chtioui lui tient tête, Faouzi Ben Abdessamad appelle la police. Un moment délicat pour le président du bureau de vote qui fait preuve de calme: «Je ne pense qu’à une chose. C’est de sauver le scrutin. Son acte aurait pu faire annuler les votes de nos deux bureaux situés dans cet immeuble de Montréal». Puis il rappelle les conditions dans lesquelles se déroulent les élections au Canada: «En appelant la police locale sur les lieux, sachant que la situation était très délicate avec le gouvernement canadien et que les locaux n’étaient pas supposés contenir un nombre aussi élevé de personnes, si la police était entrée à l’intérieur de l’édifice, elle aurait sûrement ordonné l’évacuation immédiate des lieux et le refoulement de tous les électeurs présents dans le lobby et les couloirs des deux étages (les bureaux de vote étant au 4e)».
Les membres de l’Irie parviennent à sauver la situation en calmant leur président et en rassurant la police restée devant l’édifice, étant donné qu’ils n’ont pas le droit d’intervenir à l’intérieur puisque c’est un lieu souverain, avant de s’en aller, en constatant qu’il n’y avait pas de raisons d’intervenir. Afin de sauver le bon déroulement du scrutin, Mourad Chtioui, malgré la fatigue au bout de 14 heures de travail non stop, sans prendre de pauses de la journée, signe une lettre d’excuses demandée par Faouzi Ben Abdessamad, afin de calmer ce dernier et de résoudre le conflit.
Le président de l’Irie s’endort pendant le dépouillement
21h45, la dernière électrice dépose son bulletin dans l’urne. Le dépouillement peut commencer. Le président de l’Irie fera en sorte d’y assister même si le règlement de l’Isie stipule qu’avant le tri, le président du bureau de vote ou l’un de ses membre assure l’«évacuation du bureau de vote des personnes non autorisées à assister au tri à l’exception des représentants des listes candidates, des observateurs et des journalistes accrédités par l’Isie».
Dans ce bureau de vote de Montréal, les choses se sont passées autrement. Fouazi Ben Abdessamad aurait reçu l’aval, par téléphone, de l’ISIE, d’assister au dépouillement, alors qu’il n’en avait pas le droit. Ironie du sort, après toutes les perturbations provoquées, le président de l’Irie s’installe dans le bureau de tri et s’endort… Il n’assistera donc pas au dépouillement.
Les présidents des deux bureaux de vote situés sur la rue Queen Mary ont rendu leurs rapports sur cet incident du 22 octobre et les bénévoles ont également pris l’initiative d’en faire autant auprès de l’Isie. Ils espèrent que cette affaire ne soit pas étouffée par l’Isie.
La démocratie est, décidément, un dur apprentissage.