L’accession du parti islamiste tunisien au gouvernement à l’issue des élections du 23 octobre vue par ‘‘Hamodia’’, un journal francophone israélien de Jérusalem.
Par Richard Darmon
Premier pays du «printemps arabe» à avoir tenu des élections démocratiques, la Tunisie s’est donc dotée – lors du scrutin du 23 octobre dernier – d’une «Assemblée constituante» où près de 40% des 217 délégués élus appartiennent au parti islamiste, se disant «modéré», Ennahdha (Renaissance). Un résultat qui a soulevé l’inquiétude de beaucoup de Tunisiens…
Les islamistes se veulent rassurants
Fait très significatif : dès leur victoire confirmée en fin de semaine dernière, les leaders d’Ennahdha ont tenu à rassurer les milieux laïcs du pays et les investisseurs à la fois locaux et étrangers sur leurs intentions d’instituer un «pouvoir islamique» en Tunisie, resté en fait le pays arabe le plus libéral dans tout le Maghreb et le Proche-Orient, malgré la longue dictature exercée par le président déchu Ben Ali.
A ce titre, il est important de savoir que même si ce parti islamiste a remporté – avec une majorité relative de 40% – ce scrutin ayant désigné une Assemblée constituante, cette assemblée (qui n’est pas un parlement au sens classique du terme) et ses dirigeants ne seront en fait que provisoires : outre l’intérim qu’ils devront assumer dans la gestion quotidienne des affaires du pays, leur rôle principal consistera à légiférer pour mettre sur pied une constitution et de nouvelles institutions gouvernementales, et ce dans le but d’appeler à nouveau les Tunisiens aux urnes courant 2012.
Bien plus décisif encore que celui du 23 octobre dernier, ce second scrutin, qui devrait avoir lieu d’ici un an, devra alors probablement désigner au suffrage universel un Premier ministre – voire aussi un président – et en tous cas les membres du futur parlement tunisien.
De plus, même s’il a su tirer un certain prestige électoral du fait qu’il fut interdit pendant le long règne du régime Ben-Ali, le parti Ennahdha ne pourra former un gouvernement tout seul un gouvernement de transition censé travailler avec cette Constituante : afin de mettre sur pied une coalition gouvernementale viable et suffisamment stable, il devra négocier et composer avec au moins deux autres partis progressistes et libéraux : celui du Congrès pour la république (arrivé en 2e position le 23 octobre) et la formation Ettakatol.
«Même si je ne peux guère sonder leurs réelles intentions – ce qui n’appartient qu’à Dieu ! –, devait prudemment déclarer Beji Caïd Essebsi, le Premier ministre provisoire actuel, en parlant des leaders d’Ennahdha, j’estime, d’après les faits eux-mêmes et les déclarations des uns et des autres, qu’il n’existe aucune raison de douter que le parti vainqueur respectera, comme il se doit de le faire, les contours laïcs de notre Etat et ses règles démocratiques. Car finalement, il n’appartient à personne de venir changer totalement nos modes de fonctionnement. Je pense donc – et j’espère – qu’Ennahdha saura gouverner intelligemment en assumant les réalités de ce pays. Il ne s’agit pas forcément d’une force obscure et négative allant à l’encontre du sens de l’histoire!».
Le détournement de la Révolution du jasmin
Il n’empêche : en dépit de toutes ces paroles se voulant rassurantes, et malgré les promesses des chefs d’Ennahdha – un parti ayant émergé en 1979 dans le sillage de la Révolution islamique iranienne et ayant commis des actes violents dans les années 1980-1990 –, les 60% de Tunisiens qui n’ont pas voté pour cette formation islamiste sont quelque peu inquiets…
Ainsi, plusieurs rassemblements tenus à Tunis et dans certaines grandes villes ont-ils regroupé des milliers de personnes protestant contre «les scandaleuses fraudes électorales» qu’aurait commis Ennahdha, et surtout contre le spectre du détournement de la Révolution du jasmin par un nouveau pouvoir islamiste, à leurs yeux assez peu démocratique et s’apparentant plutôt à celui que compte instituer bientôt dans l’Egypte voisine le mouvement des Frères musulmans.
Quant à la petite communauté des 1.500 Juifs restant encore en Tunisie (dont 900 environ à Djerba), ses membres et la plupart de ses dirigeants ont prudemment et volontairement gardé un silence d’expectative mais rempli d’interrogations, en se demandant à nouveau ce que l’avenir va bien pouvoir leur réserver…