Notre consoeur, animatrice du site ‘‘Initiatives Citoyennes’’, revient sur des pans méconnus du passé de «chef» d’Al-Aridha, bombardée 3e force politique dans le pays, avec 26 représentants à la Constituante.
Par Nadia Omrane
Hachemi Ben Youssef Ben Ali Hamdi ne rentrera pas au pays sans être rassuré pour sa sécurité et surtout sans un accueil de bienvenue de Hamadi Jebali.
Parlant de lui à la troisième personne, sur un ton très solennel et en multipliant les références sacrées, Hachemi Hamdi, patron de la chaîne Al Moustaqilla émettant à partir de Londres et à l’origine des listes Al-Aridha (La pétition pour la liberté, la justice et le développement), s’épanchait sur une radio privée tunisienne.
Il apparaît mortifié par la façon dont, sur les mêmes ondes, quelques jours auparavant, le secrétaire général d’Ennahdha refuse de lui rendre le salut. En effet, alors que Hachemi Hamdi l’interpelle par téléphone à partir de Londres, Hamadi Jebali, manifestement dégoûté, reste silencieux et finit par lâcher un «sans commentaires» aux dithyrambes narcissiques de Hachemi Hamdi ouvrant dans le même temps grand ses bras à Ennahdha. Mais Mergua... Dès lors, Hachemi Hamdi se répand partout où il peut glorifier son parcours et se disculper de toute collusion avec Ben Ali.
Et le voilà en train de rappeler ses courriers aux uns et aux autres à travers le monde entier, qui lui seraient témoins de son engagement militant et désintéressé pour de nobles causes politiques et pour sa patrie. Car Hachemi Hamdi écrit autant qu’il parle, toute une littérature épistolaire dont chacun pourrait produire la preuve.
L’activiste de l’Ugte sur les chemins de l’exil
Ne fut-il pas, en 1983-1984, responsable de la chronique Université au journal ‘‘Le Maghreb’’, contrôlé par Rachid Khechana (grand journaliste à ‘‘El Mawkef’’ et ‘‘Al-Jazira’’) et Mokhtar Trifi (ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, Ltdh) ? Omar S’habou, patron du ‘‘Maghreb’’, et ses journalistes se souviennent certainement de ce grand jeune homme maigre, au visage taillé à la lame de couteau, à l’ombre énigmatique, traînant ses guêtres à l’université, plus activiste de l’Ugte (syndicat estudiantin islamiste dépendant du Mouvement de tendance islamique, Mti, devenu Ennahdha) qu’étudiant méritant.
Il disparut ensuite, condamné à 20 ans de prison. Il s’enfuit, on en perd la trace, mais on le retrouve en 2001 patron d’une chaîne de télé, Al-Moustaqilla, que les observateurs d’alors disent financée par Ennahdha, et par feu Mohamed Mzali, en tout cas par des subsides islamistes.
L’opposition de gauche anti-islamiste ne fit pourtant pas la fine bouche alors et l’on vit défiler sur le plateau d’Al Moustaqilla tous les ténors de l’opposition tunisienne, de feu Mohamed Charfi à Sihem Ben Sedrine (laquelle écopa de quelques jours de prison à la suite d’un coup d’éclat sur cette chaîne), en passant par les Mustapha Ben Jaafar, Mokhtar Trifi et on en oublie, sans parler des hôtes attitrés, chefs du mouvement islamiste. Si l’on a bonne mémoire, c’est sur cette chaîne que Borhane Bsaies montre ses premiers talents, qu’Omar S’habou alors en exil espère y lancer une émission en langue française et que Tahar Belhassine y trouve l’idée de sa chaîne Al Hiwar.
Le prophète en son pays
C’est qu’il est vrai, vu le bâillonnement de la presse en territoire tunisien, c’est sur Al Moustaqilla que se déploie le débat politique, que se donne l’information libre et à peu près crédible, et que l’opposition politique toutes tendances confondues déclare la guerre à Ben Ali. Chaque dimanche vers 13 heures, Al Moustaqilla allume la passion dans tous les foyers tunisiens qui suivent cette première musique de la liberté.
Hachemi Hamdi est aux anges. Il a visiblement prospéré, il exhibe ses rondeurs de millionnaire bien nourri loin de l’étudiant malingre que l’on avait croisé et, lui qui avait connu autrefois mépris, rebuffades et persécution, le voilà courtisé et craint. Alors le succès lui monte à la tête et fouette sa mégalomanie. Pourquoi ne pas monter plus haut ? Et le revoilà de messages en Rissalat, se prenant pour prophète en son pays.
Il entre en contact avec l’ex-président, fait de la télé people en montrant l’épouse de Ben Ali en maman exemplaire et presque bigote. Il ne dédaigne pas les enveloppes de l’Atce dont il semble reconnaître qu’elles se seraient chiffrées à quelques 12 millions de dollars, très en-deçà de ce qu’auraient reçu d’autres médias arabes ou français, assure-t-il. L’ouverture des dossiers de l’Atce prendra la juste mesure des choses.
Mais fut-il l’éminence grise de Ben Ali tandis que s’égrènent les dernières heures du régime ? Ce jeudi matin, il rappelle ce dont on avait déjà eu écho il y a plusieurs mois, par Al Moustaqilla et d’autres sources : par ses courriers et ses interventions répétées, il aurait appelé Ben Ali à une ouverture du régime aux abois et à un gouvernement d’union nationale.
Depuis le 14 Janvier c’est silence radio. Les spots de la campagne électorale le rappellent à notre bon souvenir, dans les déclarations de la liste Al-Aridha dont les promesses mirifiques s’achèvent par : «Hachemi Hamdi président !». Personne ne le prend au sérieux et en aucun cas les observatoires des médias ne s’inquiètent de ce que la chaîne fasse campagne de l’étranger, ce qui est interdit par la loi électorale et «brise le silence électoral».
La petite clientèle de l’ancien régime
Le peuple tunisien est-il à ce point malade pour qu’il cède à la promesse de soins de santé gratuits proclamés par la liste Al-Aridha, pour lui donner ses voix à hauteur d'au moins 15% du score national ? Sans doute, d’autres mécanismes ont-ils joué dans ce succès et pas seulement le régionalisme ou le tribalisme qui porta à 70 ou 80% (Hachemi Hamdi prétend 100%) le score d’Al Aridha à Sidi Bouzid, région natale de Hachmi Hamdi : quelle coïncidence !
Mais d’autres observateurs, des courants politiques (Pdm), et particulièrement Sihem Ben Sedrine qui accuse en direct sur Express FM mardi soir en prenant Hamadi Jebali à témoin, croient reconnaître derrière ce succès les cellules dormantes du Rcd, la si efficace «choôba» et la main maléfique de Ben Ali.
Il n’y a pas de doutes que le populisme a fonctionné dans ce succès si l’on en croit les aveux de petites gens (femmes de ménages, manutentionnaires, secrétaire médicale) qui dans notre entourage ont voté pour la liste Al-Aridha en donnant toute leur confiance à Hachmi Hamdi dont ils n’avaient jamais entendu parler.
On peut aussi émettre l’hypothèse que toute la petite clientèle de l’ancien régime qui fit son beurre de trafic et commerce parallèles, toute une faune interlope ait pu rejoindre Al-Aridha en espérant les retombées sonnantes et trébuchantes qu’un autre Ovni de la politique, Slim Riahi de l’Upl, ne pourra pas donner tawa tawa !
Mais Hachemi Hamdi est bien au-dessus de tous ceux-là. Il provoque en direct ce matin Hamadi Jebali et réclame son salut, c’est-à-dire presque ses excuses de ne l’avoir pas reconnu dans leur proximité passée ni dans son espérance d’une coopération future. Il semblerait même qu’il menace à mots couverts, fort de l’assistance des quartiers populaires, de Hay Ettadhamen à Jbel Lahmar, et de «tout un peuple debout à ses côtés».
Qu’on se le tienne pour dit : ceux qui ont l’intention de faire invalider ces listes auprès de la justice savent désormais la réaction qu’ils peuvent déclencher chez des électeurs démunis, frustrés ou revanchards : Echaab yourid...
Hachemi Hamdi vient de jeter la balle également dans le camp d’Ennahdha. En attendant il ne rentrera pas au pays où l’attendrait une procédure en justice qui aurait été ouverte et sur laquelle il ne veut pas épiloguer.
Mais en promettant de se porter candidat aux prochaines élections présidentielles, il poursuit la résistible ascension vers les sommets d’un sous-marin en eau grise.
Source : ‘‘Alternatives Citoyennes’’.