Nul ne peut imaginer ce que la mafia de Ben Ali et sa famille ont pu s’octroyer illégalement de sommes d’argent, biens immobiliers et autres avantages fiscaux et financiers…
Par Marouen El Mehdi
Le document présenté vendredi aux médias par la Commission nationale d’investigation sur la corruption et la malversation (Cnicm) laisse perplexe. Avant la parution de ce document, très révélateur, on a souvent parlé de quantités d’argent, de biens, de pièces appartenant au patrimoine national, mais ce qui vient d’être révélé a de quoi rendre fou le plus sage des humains.
Les voleurs de Carthage
Le rapport de la Commission fait savoir que plus de 10.000 plaintes et dossiers lui sont parvenus, qu’elle a examiné près de la moitié de ces requêtes et a remis 320 dossiers à la justice. Elle a aussi organisé plus de 120 audiences dont certaines sont filmées et conservées dans l’archive nationale et mises à la disposition du nouveau gouvernement pour toute fin utile.
Toutefois, les membres de la Commission n’ont pas omis de préciser que leur mission ne fut guère une promenade de santé et qu’ils ont été, pour une bonne période de leur tâche, sous une grosse pression de la part de quelques parties encore concernées par les détails du rapport. Les crimes concernent en premier lieu les secteurs de l’immobilier, les terrains agricoles, les biens publics, les transactions et appels d’offres publics, les méga projets, la privatisation, les communications, l’audio visuel, les secteurs financier et bancaire, les autorisations administratives, la douane et le fisc, l’administration, les recrutements, la recherche scientifique et l’orientation universitaire et les corps des magistrats et des avocats.
Une bonne partie du rapport est consacrée au président déchu, aux membres de sa famille, à ses proches et à certains hauts fonctionnaires de l’Etat. En parcourant les affaires et les chiffres, certains noms reviennent dans la plupart de ces dossiers. Nous citons particulièrement le président, son épouse, leur gendre Sakhr El Matri, Mongi Safra, l’architecte de tous les coups bas, Belhassen Trabelsi, Imed Trabelsi et bien d’autres noms connus.
Celui de l’insubmersible Abdessalem Jrad, l’actuel S.G. de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) y figure également dans plusieurs affaires. Le rapport ne cite pas souvent les noms en entier, mais les initiales permettent de reconnaître les fautifs.
Le rapport revient, en détail, sur les objets et les sommes d’argent et de devises retrouvés au Palais présidentiel de Carthage et celui de Sidi Dhrif, construit sur un terrain exproprié illégalement par le président déchu. Le réaménagement du terrain a coûté au ministère de la Défense nationale une perte de 4 millions de dinars. On a trouvé dans ces palais un peu tout : argent, objets en or et diamant, statuettes et objets d’art et de patrimoine, divers objets tels… tenez-vous bien, près d’un millier de chaussures signées (Yves Saint Laurent)… Mais aussi des centaines de réfrigérateurs, de téléviseurs, et autres équipements électroménagers et ménagers, dans leurs emballages. «Les caves du palais ressemblaient au dépôt d’une grande surface», dira Néji Baccouche, membre de la commission.
La part du lion Sakher El Matri et BelhassenTrabelsi
Volet immobilier, c’est Sakher El Matri et BelhassenTrabelsi qui se taillent la part du lion. Le gendre bien aimé de la famille s’est octroyé des centaines de terrains pour les revendre ou y bâtir des méga projets tels la banque Zitouna, les dépôts de voitures de la société Ennakl à La Goulette en plus d’autres propriétés, sociétés et des quartiers en entier. Le rapport revient sur les malversations et les tours de passe-passe employés pour accumuler toute cette fortune : Sakhr et ses «méthodes» pour entrer dans le capital de Tunisiana, Attijari Bank …
Le volet financier met en exergue les malversations de BelhassenTrabelsi et les énormes prêts bancaires octroyés sans fournir de garanties. Plusieurs banques sont citées dont la Banque de l’Habitat pour des prêts sans garanties d’une valeur de 231 millions de dinars en faveur du président déchu et de ses proches, la Banque nationale agricole (Bna) pour des prêts «offerts» à la même famille d’une valeur de 323 millions de dinars, la Stb, la Bft et d’autres banques figurent également sur la liste.
Il faut dire que les établissements bancaires notamment publics ont été victimes de chantage exercé par la Banque centrale de Tunisie (Bct) qui leur imposait parfois de renoncer à leurs dettes impayées. Il convient de préciser ici que cet établissement n’a pas été très coopératif avec la Commission, car il a refusé, qui plus est par écrit, de répondre à l’une de ses requêtes concernant une banque tunisienne basée en France, probablement l’Union internationale de banques (Uib). Position jugée étonnante émanant d’une personne comme Mustapha Kamel Ennabli, actuel gouverneur de la Bct, ancien haut responsable de la Banque Mondiale et qui est censé œuvrer pour la transparence financière.
Les mystères de l’Atce
Une bonne partie du document fut réservée à l’Agence tunisienne de la communication étrangère (Atce) qui a dépensé des centaines de milliards pour servir les intérêts du pouvoir en place par l’intermédiaire d’institutions de presse, de communication et de publicité, ainsi que par un certain nombre de journalistes tunisiens et étrangers en plus de l’argent versé au Rcd, l’ex-parti au pouvoir. On y trouve les initiales des journalistes concernés et certains sont facilement reconnaissables à l’instar du fameux B.B. (Borhane Bsaies ?) qu’on a suivi plusieurs fois sur les plateaux de quelques chaines satellitaires ou une certaine HBO (Houda Ben Othman ?), la représentante de l’Atce à Bruxelles.
De même, on y découvre les basses transactions avec des entreprises étrangères de communication : Image 7, Arab Media, journal ‘‘Al Arab’’, PRP, AZ Consulting, Washington Media Group et d’autres.
Le rapport revient également sur les dépassements et la gestion de la boîte de production audio-visuelle Cactus Prod, fondée par BelhassenTrabelsi et dirigée par Sami Fehri.
Le rapport, qui souligne la concentration du pouvoir décisionnel entre les mains de Ben Ali, cite des exemples d’abus de pouvoir au profit de la famille de ce derniers, ses proches et alliés, ainsi que ses interventions dans tous les secteurs, dont celui de l’octroi des permis de vente de boissons alcoolisées (ça ne s’invente pas, mais ressemble tant au personnage), d’exportation du ciment et, même, de l’orientation universitaire.
Le rapport comporte, par ailleurs, des copies de documents qui attestent de toutes ces malversations ainsi que des photos, des tableaux et des rapports divers.