Les défendeurs des droits de l’homme sont préoccupés par la possible extradition de l’ancien Premier ministre libyen, ordonnée, le 8 novembre, par la Cour d’Appel de Tunis. Kapitalis a interviewé l’un de ses avocats Me Taoufik Ouanes.

Propos recueillis par Zohra Abid


 

Kapitalis : La Cour d’Appel a ordonné au départ l’acquittement de M. Baghdadi. Pourquoi est-elle revenue sur sa décision ?

Me Taoufik Ouanes : Pour mieux comprendre le cas Baghdadi Mahmoudi, il faut revenir aux faits qui, déjà, ne tiennent pas. M. Mahmoudi a été arrêté le 22 septembre avec deux compagnons alors qu’il tentait d’accéder au territoire algérien. Accusé d’entrer illégalement, il s’est avéré qu’il était en règle. Le tribunal a ordonné son acquittement.

Quelques heures après la décision de sa relaxation, une demande d’extradition a été envoyée par fax en provenance d’un hôtel 5 étoiles à Casablanca portant la signature d’un soi-disant procureur général libyen. Déjà, que fait ce procureur au Maroc ? Et puis, l’acte d’extradition est tellement grave qu’il ne doit pas être pris à la légère. Les conditions de cette demande sont douteuses qui plus est faxée à 8 heures du soir. Nous doutons déjà de l’authenticité de ce fax. S’agit-il vraiment d’un procureur ou de quelqu’un d’autre qui s’est fait passer pour un procureur ? Ensuite le fax est venu d’un autre pays et non de la Libye. Un document de cette importance devrait normalement émaner d’un centre ou d’un organisme de souveraineté après une décision collective. Ceci sur le plan formel. Mais il y a un deuxième point : le timing, très intéressant à examiner.

Le jour de l’acquittement, il y a une persistance suspecte. Dans ces conditions, que lui reproche-t-on ? Incitation au viol ! Jusque-là, il n’y a pas de preuves tangibles. Selon le fax, il y a un enregistrement d’une communication téléphonique qui dit qu’il a ordonné le viol. Vous savez qu’on peut facilement imiter une voix. Ceci ne peut même pas être un début de preuve. En tout cas, il ne s’agit pas de preuve tangible. D’ailleurs si c’était vrai, il aurait été mis sur la liste des personnes demandées par la Cour internationale.

Selon vous, l’extradition de M. Mahmoudi ne tient pas juridiquement ?

La justice tunisienne ne peut pas l’extrader sans être assurée préalablement des conditions d’une justice sereine et d’un procès équitable. Or, pour le moment, ces conditions n’existent pas en Libye. Le terrible vide institutionnel (notamment l’absence d’une véritable justice) laissé par l’effondrement du régime Kadhafi ne le permet pas. Puis il y a l’état d’insécurité et la prolifération des armes... Une fois extradé, ce monsieur risque de ne pas être jugé d’une manière équitable. Nous avons vu des images atroces à la télévision : exécution sommaires sans procès, traitements infligés pour les hauts responsables de l’ancien régime. Ces scènes ont fait l’objet de la condamnation de plusieurs organisations non gouvernementales internationales... Il y a donc de gros risques que M. Baghdadi soit liquidé par un acte de vengeance pour des raisons politiques, tribales ou autres.

Que doit faire la Tunisie ?

Mon confrère Mabrouk Kourchid et moi avons déposé au nom de notre client une demande d’asile politique auprès du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés afin qu’il se saisisse de ce cas et empêche son extradition. Nous avons, par ailleurs, adressé une lettre au président de la République par intérim Foued Mebazaâ pour qu’il ne signe pas le décret de l’extradition de M. Mahmoudi. Car ce serait plus qu’une erreur : une faute grave sur le plan aussi bien politique qu’humanitaire.

La Tunisie, qui vient de ratifier d’importantes conventions relatives aux droits de l’homme et qui veut honorer son statut de pays de droit international, n’a pas à le faire. D’autant que M. Mebazaâ a été, il y a quelques semaines, l’invité d’honneur des travaux d’ouverture du Haut commissariat pour les réfugiés (Hcr).

Pour l’honneur de la Tunisie post-révolutionnaire, l’extradition, dans ces circonstances, de M. Mahmoudi, serait donner un très mauvais signal à l’opinion publique internationale, ainsi qu’aux défenseurs des droits de l’homme et aussi aux investisseurs. Ce serait aussi donner une mauvaise image de la Tunisie actuelle.

N’y aurait-il pas alors une contradiction dans la position de la Tunisie qui, d’un côté, demande l’extradition de Ben Ali et des membres de son clan et, de l’autre, refuserait de répondre favorablement à la demande du Comité national de transition libyen ?

Les peuples libyen et tunisien sont éternellement liés. Et leurs intérêts sont indissociables. Je ne peux pas croire que le respect des droits de l’homme en la personne d’un Libyen puisse mettre en danger ces relations. Surtout que les Tunisiens ont soutenu leurs voisins et les ont protégés contre la dictature. Nous procédons dans le même esprit en respectant les droits d’un citoyen libyen. Y a-t-il une contradiction, nous qui demandons l’extradition de Ben Ali et de son clan, comment refusons-nous la demande de nos voisins d’extrader M. Mahmoudi ? Je vous dis que les deux cas ne sont pas comparables. Surtout que la Tunisie dispose d’un système judiciaire fiable et qui a démontré, après la révolution, une certaine rigueur juridique. Même si, par ailleurs, ce système mérite d’être réformé et assaini.