Mardi, le secrétaire général de l’Ugtt a été interdit de voyager. Mercredi matin, Abid Briki, son porte-parole, a tenu un point de presse. En fin d’après-midi, la justice est revenue sur sa décision. Y a-t-il un lien ?
Par Zohra Abid
Suite à une plainte portée à son encontre par Me Abderraouf Ayadi, Abdessalem Jerad, secrétaire général de l’Union générale tunisienne des travailleurs (Ugtt) a déjà été entendu par le juge d’instruction dans des affaires de corruption. Mais jusque-là, ça se passait entre quatre murs, dans la discrétion. Mais le jour où le rapport de la Commission nationale d’investigation sur la corruption et la malversation (Cnicm) a rendu public les dossiers de corruption et que le nom du secrétaire général de l’Ugtt a été mentionné avec des documents à l’appui, avec sceau et signature, la colère est montée d’un cran dans les coulisses du syndicat ouvrier.
Abid Briki sur ses grands chevaux
Mardi, la tension est montée d’un cran lorsque la justice a interdit de voyager M. Jerad. La centrale ne pouvait plus rester sans réaction. Une conférence de presse a été annoncée sur les réseaux sociaux et vite partagée par les internautes. Le lendemain, les journalistes n’ont pas manqué à l’appel. La salle de conférence était pleine comme un œuf. Et il fallait vraiment voir et écouter Abid Briki plaider...
Un ton menaçant, bras levés, regard perçant, mots foudroyants et ne ménageant presque personne…, M. Briki a démenti en bloc les accusations contre M. Jerad, arguant que son camarade a certes acheté des maisons à Carthage, mais avec son propre argent et qu'il n’a jamais eu recours à telle ou telle intervention de n’importe qui. «Si on accuse M. Jerad, dans ce cas, il faut accuser 1.200 personnalités (ministres, secrétaires d’Etat, hommes d’affaires...) résidant à cet endroit». Selon M. Briki, tous les membres de l’Ugtt sont derrière M. Jerad. Des propos qui ont été applaudis par les syndicalistes présents dans la salle. Ces derniers ont scandé haut et fort des slogans de soutien à M. Jerad et il a fallu les faire taire pour que M. Briki puisse continuer son discours, pour s’en prendre à Abdelfattah Amor, président de la Cnicm. Selon lui, ce dernier n’aurait jamais servi le peuple, contrairement à M. Jerad qui n’aurait fait, toute sa vie, que servir le peuple, les prolétaires... M. Briki a même fait distribuer des articles de presse évoquant une décoration que M. Amor avait reçue de l’ancien président. Que M. Jerad ait reçu, lui aussi, plusieurs décorations du même ancien président était bien sûr hors sujet.
A chacun sa vérité
En bas, dans le hall, on retrouve les mêmes articles de presse distribués aux journalistes placardés sur le mur. Des hommes montent la garde.
L’ambiance est grave, presque électrique. Les syndicalistes ne sont pas contents, et cela se voit.
Dehors, il y a du monde. Quelques centaines. Des ouvriers en grève. On pense aux perturbations dans le trafic ferroviaire à cause des grèves des cheminots de Sfax et aux dizaines de milliers de citoyens qui ont eu du mal à se déplacer. Samir Cheffi, membre du bureau de l’Ugtt de Sfax, a répété à Kapitalis le même discours que le porte-parole de l’Ugtt. Son voisin était plus emporté : «Je suis contre ces diffamations et ces campagnes contre l’Ugtt.
C’est notre seule force. Nous sommes avec cette sacrée institution mais pas avec M. Jerad ou autre. Si quelqu’un commet un acte illicite, il y a la justice. Moi, je défendrai corps et âme l’Ugtt. Car les personnes partent mais l’Ugtt doit rester», nous dit Fadhila Melliti. Sa voisine Malika Achour ne dit pas autre chose, mais avec d’autres mots. Pas loin, une jeune syndicaliste appelle à soutenir M. Jerad. Pour elle, il faut être à ses côtés jusqu’à la tenue du prochain congrès. «Il va dégager tout naturellement, lui et Briki. Notre espoir est M. Abbassi, Inchallah !», nous dit la demoiselle.
D’autres syndicalistes, jeunes et moins jeunes, étaient là, peu convaincus de l’innocence à 100% de M. Jerad, mais ils se rangent quand même tous à ses côtés. «Vainqueur ou vaincu, on est avec lui», disent-ils. Deux retraités ont répondu volontiers à nos questions. Ils ont côtoyé longtemps M. Jerad et connaissent tout sur le parcours de ce militant depuis les années 1960. Tous deux regrettent que l’Ugtt soit en train de perdre de sa crédibilité et mélange torchons et serviettes. «Il ne fallait pas prendre le pays en otage. Des grèves, ce n’est pas le moment. Il fallait au moins attendre la formation du gouvernement et négocier. Et puis, si M. Jerad a gaffé, il n’a qu’à payer», a dit M. Lahbib, ancien syndicaliste. Et compagnon de route de M. Jerad.