La seconde épreuve de la jeune démocratie tunisienne, la séance inaugurale de l’Assemblée nationale constituante, s’est déroulée sans encombre, mardi, au Palais du Bardo.

Par Zohra Abid et Jamel Dridi


 

Le balcon surplombant la magnifique Assemblée Nationale tunisienne, au Palais du Bardo, est plein à craquer de journalistes. Une centaine au moins. Les flash crépitent et les yeux des journalistes tunisiens sont humides et plein d'émotion, de joie. Ils savent que cette première séance de l’Assemblée constituante est la preuve matérielle que le règne où tout est décidé d’avance est fini.

Yeux humides et coeurs légers

C’est aussi une revanche pour la Tunisie qui sort d’un long martyrs. C’est d’ailleurs ce que me dit Kamel Labidi, journaliste et président du l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric), qui ne chache pas son émotion. Alors Kamel, que ressens -tu? Plusieurs mots sortent de sa bouche: «La joie, la démocratie et enfin la liberté». Kamel sait de quoi il parle: 15 ans d'exil forcé sous le règne de Ben Ali en raison d’une plume trop libre. D’autres personnalités, qui ont contribué à baliser la voie à ce jour historique, sont là, souriants, heureux et volontaire. On citera, en particulier, Iadh Ben Achour, président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution (Hiror), Kamel Jendoubi, présent de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), Abdelfattah Amor, président de la Commission nationale d’investigation sur les faits de corruption et de malbversation (Cnicm) et Toufik Bouderbala, président de la Commission nationale d’établissement des faits sur les sur les abus et les violations enregistrés lors de la révolution (Cnefav).

Les ténors de l’opposition au régime dictatorial de Ben Ali, devenus les principaux acteurs de la transition démocratique, ne pensaient peut-être pas se retrouver de sitôt sous la coupole du Palais du Bardo. Ils essayent d’oublier leurs divergences politiques et querelles électorales pour goûter au bonheur de cet longtemps attendu. Des poignées de mains, des sourires, des mots simples et chaleureux. On citera, dans le désordre et sans souligner l’appartenance des uns et des autres: Rached Ghannouchi, Mustapha Ben Jaafar, Moncef Marzouki, Néjib Chebbi, Hamadi Jebali, Sadok Chourou, Mohamed Abbou, Ahmed Brahim, Maya Jeribi, et on en oublie une bonne brochette.


Moncef Marzouki, le futur président très entouré

Assemblée vivante, colorée et enfin plurielle

En ce 22 novembre 2011, il est 11h. , la séance commence, sous les yeux attendris du président de la république par intérim, Foued Mebaza, du premier ministre du gouvernement de transition, Beji Caïd Essebsi, qui devront bientôt céder le témoin après avoir conduit la barque Tunisie à bon port, et, bien sûr, de l’ensemble des membres de l’Assemblée nationale constituante nouvellement élus. Silence complet. Certains pleurent.

L’hymne national retentit, plus sonore, plus solennel et plus beau que jamais. Tout le monde est debout. L’Assemblée est vivante. Colorée. Réeellement plurielle. Le théâtre d’ombre qu’elle était sous Ben Ali, grand marionnettiste devant l’Eternel, fait déjà partie du passé. En même temps, tout le monde espère que c’est une nouvelle ère qui débute vraiment en Tunisie.

La seconde épreuve de la jeune démocratie tunisienne, après celle des élections du 23 octobre, s’est donc déroulée sans encombre. Les yeux humides de trois membres de la première assemblée constituante de 1956, en l’occurrence Ahmed Mestiri, Ahmed Ben Salah et Mustapha Filali, présents lors de la cérémonie d’ouverture, et qu’on a eu l’heureuse idée d’inviter, en dit long sur l’ambiance qui a régné en cette première réunion.

Après quelques incidents, des échanges houleux, à propos du discours vaguement moralisateur du président de la séance Tahar Hmila, tout est rentré dans l’ordre. La discussion de l’ordre du jour et des procédures d’élection du président de l’Assemblée et de ses deux adjoints a été plutôt constructive. M. Hmila, le plus âgé parmi les élus, secondé par une jeune femme, la plus jeune, a su rattraper le coup, avec un peu d’humour, mais une certaine fermeté tout de même pour rappeler à l’ordre quelques membres un peu tâtillons, qui cherchaient à couper le cheveux en quatre. «Ne perdons pas beaucoup de temps. Les Tunisiens nous regardent. Et ils attendent beaucoup de nos travaux», lance-t-il. Le ton grave et vaguement paternaliste passe mieux.

Les constituants semblent avoir décidé de ne pas gâcher le moment historique, d’être à la hauteur des attentes de leurs électeurs (ils ont sans doute appris que leurs travaux étaient diffusés en direct sur la Chaine nationale 1) et de reporter aux prochains jours, semaines et mois les grandes joutes oratoires et les échanges à fleurets mouchetés.

Une mission grandiose et très ardue

Quelques centaines manifestants, rassemblés dès le début de la matinée, aux alentours de l’enceinte de l’Assemblée, appartenant à divers mouvements et associations, donnaient de la voix ou agitaient des pancartes appelant à leurs responsabilités l’Assemblée constituante et le nouveau gouvernement, qui sera constitué dans quelques jours. Leurs voix ont sans doute été entendues. Tout ce beau monde sait donc ce qui l’attend, et ce qui l’attend est à la fois grandiose et très ardu. Une mission impossible en somme. Mais, on le sait, pour un peuple qui a renvoyé un dictateur et mis à terre son régime, rien n’est plus vraiment impossible.