Notre correspondant a assisté à la cérémonie de remise du Prix Droits de l'homme 2011 du Conseil des barreaux européens (Ccbe) à Me Abderrazek Kilani, bâtonnier de l’Ordre national des avocats de Tunisie.

Par Wajdi Khalifa, Bruxelles


 

Le Conseil des barreaux européens (Ccbe) (1) a décidé d’accorder son prix ‘‘Droits de l’homme’’ pour 2011 au bâtonnier de l’Ordre national des avocats de Tunisie (Onat), Me Abderrazek Kilani.

Lors de la séance plénière présidée par Georges-Albert Dal dans un Grand-Hôtel d’Anvers (Belgique), ce vendredi 25 novembre, le bâtonnier, accompagné d’une forte délégation d’avocats tunisiens (2), s’est vu remettre le prix en question.

L’objectif du prix ‘‘Droits de l’homme’’ est de mettre à l’honneur des avocats ou organisations d’avocats qui ont fait preuve d’un engagement et d’un sacrifice hors du commun pour préserver les valeurs fondamentales.

Hommage au rôle des avocats dans la révolution

C’est donc toute la corporation des avocats tunisiens qui était à l’honneur lors de cette cérémonie, pour le rôle qu'elle a joué dans la révolution tunisienne.

Il est à noter la présence du tout nouvel ambassadeur de Tunisie en Belgique, Ridha Farhat. Cette présence a été saluée par le Ccbe et le bâtonnier.

Lors de sa présentation, le président Georges-Albert Dal a salué le parcours du bâtonnier en parlant du «rôle moteur joué par Me Abderrazek Kilani pour l’indépendance du barreau et la défense de l’Etat de droit dans les conditions difficiles de l’ère Ben Ali», mais le président du Ccbe a voulu aussi rendre hommage à tout le barreau tunisien en parlant de cette «extraordinaire» photo d’une avocate tunisienne (Me Lilia Ben Debba, Ndlr) en toge qui réunit la foule et coordonne le mouvement le matin du 14 janvier.

Lors de son discours le bâtonnier Kilani a parlé du rôle crucial joué par les avocats depuis l’indépendance de la Tunisie et a rendu un long hommage à Me Mohamed Chakroun, ce «défenseur infatigable des causes des droits de l’homme» en parlant de son «inflexible droiture» et du prix que ce dernier avait remis en 1999 à Me Radhia Nasraoui, «fervente militante des droits de l’homme».

Le bâtonnier a tenu à préciser qu’une soixantaine d’opposants étaient présents lors de cette cérémonie dont Mustapha Ben Jaafar (président de l’Assemblée Constituante) et Moncef Marzouki (probable futur président de la République).

Il a par la suite parlé du soutien permanent des barreaux européens et particulièrement celui de Belgique et de France, soutien qui, selon lui, dérangeait fortement Ben Ali.

La réponse de Ben Ali à Me Kilani

Me Kilani a apporté un témoignage inédit sur la période pré-révolution et notamment sur deux jours très marquants pour lui.
Le premier : le 31 décembre 2010. Ce jour-là, des dizaines d’avocats ont été battus par la police aux ordres de Ben Ali. Cet événement a été pour lui un signe prémonitoire de la fin du régime.

Le deuxième : le 10 janvier 2011, lorsque des dizaines de citoyens de Kasserine l’ont attendu devant son bureau pour se plaindre des exactions de la police dans cette région sinistrée. Devant ce fait, il n’hésita pas à contacter la présidence de la République et eut Ben Ali au bout du fil quelques instants plus tard. Face aux accusations du bâtonnier, Ben Ali nia tout en bloc mais quelques heures après cet entretien téléphonique, qui eut lieu, en présence d’autres avocats, la police se retira pour laisser place à l’armée nationale. Cet entretien téléphonique a peut-être permis «d’éviter un bain de sang» dans cette région, a confié le bâtonnier.

Rôle des avocats dans la Nouvelle Tunisie

Dès la chute de Ben Ali, le bâtonnier a souligné le rôle assumé par les avocats immédiatement pour maintenir la continuité de l’Etat face au vide juridique de la situation.

Il a insisté aussi pour le droit des Ben Ali, Trabelsi et autres sbires de bénéficier de toutes les garanties et de tous les droits offerts aux accusés pour permettre une «reddition des comptes» et non pas une vengeance.

Le bâtonnier a précisé que les avocats tunisiens seront toujours au «service de leur pays et de leur peuple» car il s’agit du plus grand «honneur et bonheur» de la profession et qu’ils seront toujours vigilants pour faire prévaloir le droit dans la société tunisienne.

En conclusion, le bâtonnier s’est transformé en VRP du tourisme tunisien puisqu’il a invité les membres du Ccbe (soit un million de personnes) et leurs familles à venir visiter en masse la Tunisie en faisant l’éloge de la Tunisie de ses paysages et de ses habitants.

Cette intervention a été fortement applaudie par tous les membres présents.

* Faculté de droit, Université de Liège (Belgique).

Blog de l’auteur.

Notes:

1- Le Conseil des barreaux européens (Ccbe) est une association sans but lucratif, de barreaux de 31 pays d’Europe, créée en septembre 1960, représentant actuellement environ un million d'avocats.
Tous les barreaux nationaux des 30 États de l'Espace économique européen ainsi que celui de la Suisse sont membres effectifs du Ccbe. Outre ces membres effectifs, les barreaux des pays en négociations officielles pour leur adhésion à l’Union européenne ont la qualité de membres « associés » ou «observateurs» ou pour les autres pays du Conseil de l’Europe. Pour plus d’information : www.ccbe.org.
Le prix ‘‘Droits de l’Homme’’, qui est décerné annuellement depuis 2007, consiste en un certificat délivré par le Ccbe. Il est la reconnaissance publique du travail réalisé par l’avocat ou l’organisation d’avocats concernée.
Le prix 2010 avait été décerné aux avocats mexicains David Peña Rodríguez et Karla Micheel Salas Ramírez.

2-  La délégation tunisienne présente à la séance plénière : Mohamed Ridha Farhat, ambassadeur de Tunisie en Belgique ; Me Abderrazak Kilani, bâtonnier de l’Ordre national des avocats de Tunisie (Onat) ; Nabil Ben Khedher, Conseiller de l’ambassadeur de Tunisie en Belgique ; Me Chafik Gdoura, membre du Conseil régional de Sousse de l’Onat ; Me Radhouane El-Aiba, avocat à la Cour de Cassation ; Me Abdessatar Messaoudi, avocat à la Cour de Cassation ; Me Béchir Mahfoudhi, avocat à la Cour de Cassation ; Me Hichem Zoubli, avocat à la Cour de Cassation ; Me Hosni Béji, avocat à la Cour d’Appel ; Me Moncef Mekki avocat à la Cour d’Appel ; Me Yassine Younsi, avocat stagiaire.