Le tribunal militaire permanent de première instance du Kef a reporté l’affaire des martyrs de Thala et Kasserine au 12 décembre. Mais que s’est-il passé durant l’audience du lundi ?


La première audience du procès intenté devant la justice militaire contre l’ex-président Ben Ali, les deux anciens ministres de l’Intérieur et du Développement local Rafik Belhaj Kacem (en détention) et Ahmed Friaâ (en liberté), l’ancien directeur de la sécurité présidentielle Ali Seriati (en détention), et plusieurs responsables de sécurité sous l’ancien régime, a posé la délicate question de savoir qui a donné l’ordre d’ouvrir le feu sur les manifestants lors de la révolution tunisienne, entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011.

Ni vu ni connu !

Lors de son interrogatoire, Rafik Belhaj Kacem a rejeté toute implication dans ces événements, niant avoir donné l’ordre d’ouvrir le feu sur les manifestants. Il a ajouté que la question sécuritaire était du ressort de la cellule de suivi qui exerçait sa mission conformément aux plans établis à cet effet.

Son successeur, Ahmed Friaa, qui a été nommé au poste le 12 janvier, deux jours avant la fuite de l’ex-président, a indiqué, pour sa part, que sa nomination avait pour objectif d’engager des réformes politiques et d’apaiser le climat de tension qui prévalait dans le pays. Lui aussi n’a rien vu.

Jalel Boudriga, directeur général des unités de l’ordre public, a affirmé avoir ordonné le remplacement, le 10 janvier dernier, de Youssef Abdelaziz, directeur de ces unités, par Moncef Laâjimi après le mécontentement général exprimé par les habitants de Thala à l’égard des agissements illégaux de M. Abdelaziz. M. Boudriga serait donc un bienfaiteur de l’humanité.

Ali Sériati, ancien directeur de la sécurité présidentielle, a confirmé les témoignages de Boudriga ajoutant qu’il était en personne à l’origine du troisième discours prononcé, le 13 janvier, par Ben Ali dans lequel il a utilisé la fameuse expression «Assez de tirs à balles réelles !». Un autre bienfaiteur de l’humanité en somme.

Adel Touiri, ancien directeur général de la sûreté nationale, accusé de meurtre et de tentative de meurtre, a rejeté son implication dans les événements qui ont ensanglanté les régions de Thala et de Kasserine, précisant que les forces de sécurité agissaient en fonction des situations de terrain qui s’imposaient, notamment après la mise en place d’une cellule de suivi sécuritaire au sein du ministère ainsi que d’une salle d’opérations chargée de suivre la situation dans le pays. Il a nié lui aussi avoir donné l’ordre d’ouvrir le feu sur les manifestants. C’est donc la faute à la … «cellule».

Khaled Ben Saïd, directeur au département de lutte contre le terrorisme, a déclaré avoir été chargé, durant cette période, de coordonner les opérations avec le commissariat de police de Kasserine et de collecter les informations sur le terrorisme. En d’autres termes : sa mission se résumait au renseignement.

Quid des preuves matérielles ?

Les lignes de défense des inculpés semblent calquées les unes sur les autres : l’ordre de tirer sur les manifestants a émané d’une partie non identifiée, soit une «cellule de suivi» ou une «salle d’opération», plus impersonnelle l’une que l’autre.

Par ailleurs, aucun inculpé ne s’est défaussé sur l’autre, peut-être parce qu’aucun d’entre eux n’a intérêt à se voir accusé à son tour, ce qui déclencherait une foire aux accusations et mettrait la pression sur tous.

La responsabilité de l’ex-président, si elle est soulignée en filigrane, n’a pas été invoquée de manière évidente par les inculpés. Seules des preuves matérielles (enregistrements téléphoniques, PV de réunions, ordres dûment couchés sur du papier…) pourraient aider le tribunal à démêler l’écheveau des responsabilités dans les violences meurtrières infligées aux manifestants de Thala et Kasserine. Or, des questions se posent à ce propos : ces documents existent-ils ? L’enquête judiciaire a-t-elle permis de les retrouver ? Ou ont-ils été tout simplement détruits ? Auquel cas, une autre enquête s’impose…

I. B.