Notre correspondant en France a passé une semaine à Tunis. Il voulait comprendre pourquoi beaucoup de Tunisiens ont voté pour Ennahdha. Et ce qu’ils pensent de leur vote. Il n’a pas été déçu. Récit…

Par Jamel Dridi


 

Si le Tunisien sait être gentil et conciliant, il n’est plus ce petit chaton que l’on caresse à souhait et sur qui l’on peut, accessoirement, faire supporter son incompétence politique. Si l’on n’en était pas convaincu, un petit coup d’œil dans le rétroviseur pour voir ce qui est arrivé à Ben Ali rafraîchira la mémoire de certains.

Malika la coiffeuse permanentée

Il y a quelques jours, dans l’une des banlieues populaires de Tunis, Jebel Lahmar (littéralement : montagne rouge), je faisais une petite enquête journalistique sur les salafistes. Déçu, je n’en ai trouvé aucun répondant à ce descriptif sauf quelques adolescents clownesques qui ne connaissaient pas plus que les trois dernières sourates du Coran et qui, déguisés avec une barbe toute fraîche et un «kamis» (tunique pour homme) de marque chinoise tout juste ouvert, faisaient de la peine à voir.

Mais le hasard faisant bien les choses, j’ai rencontré plusieurs personnes ordinaires qui m’ont éclairé, encore plus, sur les raisons du choix de vote Ennahdha. Notamment Malika. Cette dernière, comme elle se décrit elle-même, n’a plus rien à apprendre de la vie. A 45 ans, tenancière d’un salon de coiffure, célibataire et permanentée à souhait, ne refusant pas une soirée festive alcoolisée, comme elle le précise, a voté Ennahdha. Quand je lui ai demandé de m’expliquer son choix un peu plus dans le détail, cette Tunisienne ordinaire m’a dit ce que j’entendrais plusieurs fois de suite dans les jours qui suivront d’une façon ou d’une autre.

«Les gens d’Ennahdha, à part Ghannouchi, personne ne les connaît ici. Pourtant beaucoup ont voté pour eux. Pas pour parler à Dieu ou prier (pour ceux qui prient, et ce n’est pas mon cas, on n’a pas besoin d’intermédiaire en islam), mais parce que pour nous ce sont les seuls qui semblaient les moins corrompus dans tout le lot d’escrocs politiciens tunisiens après le 14 janvier 2011. Mais si ces gars qui se battent pour le «korsi» (siège politique) sont aussi incompétents que sous la dictature, qu’ils sont aussi corrompus et qu’ils ne pensent qu’à s’enrichir sur le dos du peuple, ils recevront une correction du peuple dont ils ne se relèveront pas», a dit Malika.

S’ils se moquent de nous

J’ai bien évidemment synthétisé sa pensée et, pour le bien de vos oreilles, j’ai gommé quelques gros mots et expressions croustillantes mais pas assez classes pour être écrites.

Tous les jours, que ce soient des cadres, des ouvriers, des chômeurs, des femmes, des étudiants, j’ai entendu en substance le même message. On a voté Ennahdha et dans une moindre mesure le Congrès pour la république (Cpr) et le Forum démocratique pour le travail et les libertés (Fdtl ou Ettakatol) parce qu’on veut qu’ils changent notre quotidien.

Bien évidemment, tous m’ont parlé de la Tunisie qu’ils ne reconnaissent plus et ont évoqué ce pays qui s’est transformé en Far-West sexuel, de corruption et d’anarchie, à certains endroits, qu’ils voudraient voir supprimer, mais la plus grande attente concernait l’économie, le chômage et la remise en route du pays.

Tous, à un mot près, ont terminé leur discours de la même façon. S’ils (ces politiques que nous avons élus) se moquent de nous, nous les dégagerons comme nous avons dégagé Ben Ali. A bon entendeur salut…

La fessée populaire n’est pas loin

Ceux qui me suivent depuis quelques mois se rappelleront de mes articles défendant le droit d’Ennahdha à participer au jeu politique. Ils se souviendront aussi de la place favorite que j’ai réservée à Moncef Marzouki ou à Mustapha Ben Jaâfar, dont j’ai bu les discours lors de leur venue en France. Je ne le regrette évidemment pas. Mais j’aimerais leur rappeler qu’il faut maintenant des actes positifs montrant leur compétence et que leur crédit a d’ores et déjà été entamé par des batailles politiciennes pour avoir tel ou tel poste (que ce soit celui de président de la République ou tels postes ministériels pour leurs partis respectifs !).

La phrase d’un vieux chauffeur de taxi aux formules en «derja» (parler tunisien) succulentes résume bien à lui seul la pensée de la plupart des Tunisiens que j’ai rencontrés. Ecoutons si Amar : «Ils rêvaient du pouvoir ; maintenant ils l’ont. Je te jure fils de mon pays que s’ils se moquent de nous, j’irais seul les chercher dans leur palais et ministères pour leur baisser le pantalon et leur mettre une fessée monumentale».

Si certains ont reçu une gifle électorale, d’autres devraient bien faire attention à serrer la ceinture de leur pantalon car la fessée populaire n’est pas loin !