Chaque tunisien qui aime son pays devrait dire à chaque personne qu’il connaît de stopper les sit-in, d’arrêter de descendre – pour un temps – dans la rue, car cela pénalise avant tout la Tunisie.
Par Jamel Dridi
Sit-in à la Kasbah
Il y a quelques mois, l’auteur de ces lignes signait un article intitulé «Ces révolutionnaires qui tuent la révolution tunisienne», pour souligner, entre autres, l’idée que l’entreprise tunisienne (qu’elle soit publique ou privée) n’est pas l’ennemi du peuple et qu’il fallait arrêter de lui planter des «coups de poignard dans le dos» au risque de mettre notre économie et conséquemment l’emploi en péril.
Un corps malade
Ça y est, aujourd’hui, c’est (presque) fait. L’économie tunisienne vacille. Certes les sit-ineurs, si l’on peut continuer à les appeler ainsi, n’en sont pas totalement responsables et on ne reviendrait pas ici sur toutes les causes du KO économique qui nous guette, mais chaque sit-in est une pointe que l’on plante dans le corps, déjà malade, de l’économie tunisienne.
Tout le monde le sait, une piqûre d’abeille n’est pas dangereuse pour l’homme. Mais plusieurs (à partir d’une trentaine selon les spécialistes) peuvent tuer un homme pourtant en bonne santé.
Que dire d’une économie déjà fragile et ce bien avant le 14 janvier malgré l’arnaque du miracle économique ? Que dire d’une économie déjà bien touchée par le ralentissement inhérent à toute révolution ? Combien de sit-in y a-t-il eu depuis le 14 janvier 2011 ? Combien de coups de poignard cette économie a-t-elle supportés ? A-t-on fait la comptabilité, ainsi que celle des pertes induites, surtout dans les secteurs importants de l’extraction du phosphate, de la chimie et de l’énergie ?
Sit-in de magistrats devant le Palais de la Justice de Tunis
Des sit-in de plus, des sit-in de trop
Pourtant, il n’est pas trop tard, sinon pourquoi prendre la peine d’écrire ces quelques lignes. Non, il n’est pas trop tard mais ce qui rend encore plus complexe la situation c’est qu’il n’y a pas un seul type de sit-in mais des centaines de sit-in différents aux motifs tout aussi divers.
Des Tunisiennes surexcitées qui se prennent pour des tigresses (que ce soit la fausse blonde ou sa, pourtant compatriote mais non moins ennemie, niqabisée) qui font un sit-in. Des chômeurs qui veulent du travail tout de suite et des travailleurs qui veulent gagner plus, font un sit-in. Des contrôleurs aériens font un sit-in sans que les avions soient empêchés de décoller. Mais aussi les agents de la Banque centrale de Tunisie (Bct), les policiers, les juges, et que sait-on encore ? Plus rien ne va.
Tout le monde est assis quand il faudrait que l’économie reste debout. Ceci est écrit sur un ton sournoisement sarcastique, mais c’est parce que plus rien ne va plus, avec cette interminable litanie des sit-in. Bien sûr, il ne faut pas mettre tous les sit-in dans le même sac car certains sont plus justifiables que d’autres, mais trop c’est trop. Il serait d’ailleurs trop long de prendre chaque sit-in individuellement pour en apprécier les raisons et la légitimité. Faut-il pour autant les condamner tous ? Peut-être, car la situation générale dans le pays et l’état de son économie l’exigent.
Chaque sit-in fait baisser la croissance
Il n’est pas difficile d’admettre que chaque sit-in fait du mal à la Tunisie. On n’a pas de chiffres précis à ce sujet. Les autorités n’ont pas communiqué à ce sujet. Mais il est clair que tous les sit-in, mis les uns à côté des autres, coûtent cher à la Tunisie et donc font baisser sa croissance économique. Combien de points de croissance, 1, 2 ou plus ? On ne sait pas.
Ce que l’on sait, en revanche, c’est que chaque fois qu’un sit-in fait fuir un investisseur tunisien ou étranger, chaque fois qu’un sit-in met en péril une entreprise, chaque fois qu’un sit-in donne l’image du désordre et fait peur aux touristes…, cela n’incite pas à l’initiative et à l’engagement. Cela est valable tant pour les partenaires étrangers que pour les Tunisiens eux-mêmes.
Autant dire que ces sit-in sont un coup de poignard planté dans le dos de l’économie tunisienne et un coup de sabre à sa croissance. Un véritable suicide économique. Il est temps que tout cela cesse.
Dans d’autres pays connaissant des périodes délicates économiquement, il y a un moratoire, une période où tout le monde s’engage à se calmer, à ne plus faire de grève ou de sit-in, pendant 6 mois ou 1 an, et ensuite, dès que les choses se stabilisent, les parties reviennent ensemble à la table des négociations et font part de leurs revendications.
Il est donc temps de sauver l’économie tunisienne et de lui laisser le temps de se refaire une santé.
Il n’y aura aucun gagnant, ni parti politique, ni chef d’entreprise, non il n’y aura aucun gagnant si l’économie du pays ne redémarre pas.
Quant à ceux qui auraient des arrière-pensées, ils devraient savoir que ce n’est pas en créant le chaos économique et en alimentant la colère de la rue qu’ils pourront récupérer le pouvoir que les urnes ne leur ont pas donné.
Chaque Tunisien qui aime son pays devrait dire à chaque personne qu’il connaît de stopper les sit-in, d’arrêter de descendre – pour un temps – dans la rue pour tout et n’importe quoi, car cela pénalise avant tout la Tunisie.